La vie (de gitane) et l’ uvre d’Asia Argento (deux films extrêmes comme réalisatrice, et une filmo d’actrice déjà dense), intimement mêlées, ressemblent à un jeu de piste dans la jet-set internationale du cinéma indépendant et de la contre-culture. Un jeu où l’on croise Gus Van Sant, J. T. Leroy, Vincent Gallo, Gaspar Noé, Marilyn […]
La vie (de gitane) et l’ uvre d’Asia Argento (deux films extrêmes comme réalisatrice, et une filmo d’actrice déjà dense), intimement mêlées, ressemblent à un jeu de piste dans la jet-set internationale du cinéma indépendant et de la contre-culture. Un jeu où l’on croise Gus Van Sant, J. T. Leroy, Vincent Gallo, Gaspar Noé, Marilyn Manson, Bertrand Bonello, Abel Ferrara, Lydia Lunch, Billy Corgan, Genesis P-Orridge, Sonic Youth, George Romero, Brian Molko, etc. Mais au-delà de cette constellation arty dont elle est l’une des étoiles les plus brillantes, Asia Argento est animée d’une sincérité pas si répandue que ça dans le monde du cinéma : capable de se mettre dans un état proche de la folie pour un film, sombrant parfois dans la complaisance, mais toujours rattrapée par une honnêteté qui n’épargne personne, à commencer par elle. Rien que pour cette sincérité et cette énergie, Asia vaut bien plus que l’image de cover-girl tatouée et trendy qu’elle s’ingénie parfois à véhiculer. Encore faut-il la suivre…
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ASIA, FESTIVAL DE CANNES 2004
La caricature d’Asia Argento débarque en fanfare sur le toit-terrasse du Noga Hilton, escortée d’une bande de freaks trash. Asia donne ses interviews sans retirer ses Ray-Ban noires en forme de gouttes, les cheveux en pétard, cachée derrière une couche épaisse de maquillage. Elle a l’air épuisée. « C’est comme si je revenais de la guerre. Ce tournage a été terrible. J’ai cru que je pourrais réaliser le film tout en jouant le rôle de Sarah, cette mère moitié folle, moitié mauvaise. Sauf que je me suis mise dans sa peau six mois avant le début du tournage : les cheveux péroxydés, ne me lavant plus, etc. Et ça a tellement bien marché que, quand je suis arrivée sur le plateau le premier jour, j’étais Sarah. En fait, c’est elle qui a dirigé le film. Autant te dire qu’on en a tous bavé : moi la première, mais aussi le reste de l’équipe. Je n’avais jamais pensé que je ferais subir des trucs pareils à une équipe. Eh bien si, je l’ai fait. Enfin, le monstre que j’étais devenue. »
En pleine dépressurisation de ce tournage dantesque (et on pèse nos mots, Dante est l’un des auteurs qu’Asia trouve le plus violents), elle reçoit un autre choc : elle rencontre Gus Van Sant, son cinéaste fétiche, l’un de ceux qui lui ont donné envie de réaliser des films à la sortie de My Own Private Idaho il y a treize ans, elle avait punaisé sa photo au-dessus de son lit, plutôt que celles de Keanu Reeves ou de River Phoenix. Il lui propose d’incarner le principal rôle féminin de son nouveau film, Last Days, une lecture très personnelle des derniers jours de Kurt Cobain, aux côtés de Michael Pitt, ami intime d’Asia (Michael tient même un petit rôle dans Le Livre de Jérémie). Beaucoup d’émotions, même pour Asia Argento.
C’est au milieu de cette tourmente qu’elle doit partir pour Cannes accompagner Le Livre de Jérémie. Pas de recul. Asia se perd un peu. Elle a enlevé ses lunettes de soleil pour dire combien lui manque sa fille Anna, bientôt 4 ans. Mais on vient la chercher pour présenter le film sur la scène de la Quinzaine des réalisateurs. Elle oublie ses lunettes de soleil sur la table. Le soir, à la fête en l’honneur du film, Asia et Brian Molko mixeront côte à côte. Troublante ressemblance.
J. T. LEROY, L’AUTEUR
Sur la terrasse du Noga Hilton, personne ne prête attention à une personne toute menue sous sa perruque de cheveux blancs et ses grosses lunettes de soleil. Il s’agit pourtant de J. T. Leroy, et c’est son histoire qu’Asia a filmée. C’est le thérapeute de Leroy, le Dr Owens, qui l’a un jour convaincu de mettre son enfance noir sur blanc. « A l’époque, j’avais 18 ans et il n’était pas question de publication, raconte J. T. de sa douce voix de fille (sa peau non plus ne ressemble pas à celle d’un garçon). Ça m’a fait un bien extraordinaire d’écrire tout ça, mais je ne pensais pas que ça irait plus loin. » Il y raconte comment il a grandi entre sa mère et des foyers d’adoption, choisissant toujours de revenir vers sa mère, parce qu’il l’aimait, au point de vouloir tout faire comme elle, défonce et prostitution comprises. Autour de lui, tous ceux qui lisent le texte l’encouragent à le publier. Sarah sort aux Etats-Unis en 1999 (chez Denoël en 2001, puis en poche chez 10/18).
Tout ce que la contre-culture américaine compte d’intellos, de Bruce Benderson à Dennis Cooper, s’emballe publiquement pour ce premier roman. Une certaine Courtney Love l’inscrit au top ten des livres de son site web. Bouleversé, Gus Van Sant en achète immédiatement les droits pour le cinéma. Le film ne se fera pas, mais Gus et J. T. deviendront amis. Deux ans plus tard, J. T. publie The Heart is Deceitful above all Things. Se situant avant Sarah dans la vie de son auteur, cette deuxième publication est toujours aussi autobiographique et possède la même capacité à susciter l’adaptation au cinéma. Mais ça, c’est Asia qui en parle le mieux.
LIRE LEROY
Paris, janvier 2005. Un salon minuscule et tranquille au fond de l’Hôtel Costes, rue Saint-Honoré. Moins show-off, Asia a retrouvé sa dégaine d’adolescente gothique : cernes marqués, mèches corbeau lui tombant dans les yeux, poings enfoncés dans les poches d’un sweat noir à capuche. Calmement, elle raconte sa rencontre avec J. T., qui s’est d’abord faite à travers ses livres. « J’avais lu Sarah, que j’avais beaucoup aimé. Un jour, l’agent de J. T. m’appelle pour me proposer de faire une lecture de ses livres à Rome, parce que J. T. est trop timide pour lire en public. Je me suis alors plongée dans The Heart Is Deceitful above All Things. Ma fille Anna n’avait que 9 mois et je me suis demandée comment une mère pouvait traiter aussi mal son enfant. J’ai mis quinze jours à lire les trente premières pages. Puis j’ai compris qu’il s’agissait d’une histoire d’amour entre cet enfant et sa mère, un mélange incroyable de tendresse et de souffrance. C’est ça, précisément, qui m’a inspirée. Et c’était un soulagement, car depuis Scarlet Diva, rien ne m’avait motivée à repasser derrière la caméra. »
LA RENCONTRE
Asia sait qu’elle va rencontrer J. T. en juin pour la lecture. Elle teste son père et son oncle, qui avaient produit Scarlet Diva, mais ils refusent de s’engager, même en coproduction. En 2002, elle se rend alors à Cannes pour rencontrer des producteurs américains, Muse et Wild Bunch, que lui a présentés Vincent Gallo, et dont elle obtient un accord de principe. « Je m’inquiétais un peu parce que j’avais envoyé un mail à J. T. pour lui demander si les droits du livre étaient libres, mais il ne m’avait pas répondu. » Finalement, Leroy atterrit à Rome. Au bout d’un quart d’heure, il dit à Asia : « Je veux que tu fasses le film. » « Je pense qu’il voulait me rencontrer en chair et en os avant d’accepter », analyse Asia. Elle lui propose de coécrire le scénario. Il refuse « en disant qu’il n’aurait pas le détachement nécessaire ». Elle partira donc s’installer dans le sud des Etats-Unis, à Knoxville, dans le Tennessee, écrire le scénario et faire son casting, avant de se lancer dans un tournage-centrifugeuse d’à peine un mois.
« J’étais fascinée par Leroy, presque amoureuse. Ça a été très important. Mais plus je le connaissais, moins je le connaissais : il y a beaucoup de choses qui ne coïncidaient pas entre elles dans ce qu’il me disait. Il a plusieurs personnalités : il y a J. T., mais il y a aussi Roy qui a une voix beaucoup plus grave, qui est plus sarcastique, qui parle comme un critique de cinéma, et il peut devenir très blessant. Mais quand il n’est plus Roy, il s’excuse. Je n’ai jamais essayé de faire le détective pour démêler ce qui était faux et ce qui était vrai. Pour moi, l’important, c’est qu’à la lecture de son livre, j’ai trouvé que les émotions étaient vraies. Et je voulais me montrer à la hauteur avec le film. »
ASIA VERSUS COURTNEY
« Mes deux inspirations pour le personnage de Sarah étaient Courtney Love et Aileen Carol Wuornos, le personnage de serial-killeuse joué par Charlize Theron dans le film Monster. Sur le plateau, tout le monde m’appelait Courtney, à cause de ma dégaine trash et de mes cheveux filasses décolorés. » On comprend que Gus Van Sant, qui cherchait sa Courtney Love pour Last Days, ait flashé sur Asia. « C’est dingue la façon dont j’ai eu le rôle dans son film. Nous étions tous les trois, avec Michael Pitt. J’étais très impressionnée car Gus représente beaucoup pour moi en tant que metteur en scène. Je n’ai pas dit un mot. Tout ce qui aurait pu sortir de ma bouche aurait été de la flatterie un peu fausse : ça aurait trop fait l’actrice qui cherche un rôle. Alors je suis sortie fumer une cigarette. Quand je suis revenue, il m’a proposé le rôle. » CQFD : une actrice qui veut travailler doit apprendre à disparaître.
APRES J. T., LA DJ
Paris, soirée de lancement du film au Triptyque. Derrière les platines, Asia mixe, flashée par une armée de photographes. En bonne comédienne, elle sait leur donner l’attitude qu’ils attendent : clope au bec, la tête penchée sur le casque, les sourcils froncés. Tout à coup, elle balance la reprise de Sunglasses at Night par Tiga. Les paroles font tilt : « I wear my sunglasses at night/So I can keep track of the visions in my eyes. » Ces photographes vont attraper l’image d’Asia, mais pas les visions qu’elle a au fond des yeux. Ça, elle le garde pour ses films. ||
Parallèlement à la sortie du film d’Asia Argento, les éditions Denoël publient en français le livre de J. T. Leroy, The Heart Is Deceitful above All Things, sous le titre Le Livre de Jérémie.
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