Dans sa jeunesse, Arthur Penn se souciait du cinéma comme de ses premières billes. Pourtant, avec les Sidney Lumet, Robert Altman et autres Sam Peckinpah, il fera partie de cette génération de cinéastes qui marqueront la fin de l’âge d’or hollywoodien à l’orée des années 60.
De retour avec Inside, Arthur Penn évoque cette période où le cinéma américain s’est émancipé et refait son itinéraire où se croisent Truffaut et Dustin Hoffman, Bazin et les Indiens, Brando et Mandela.
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Après une dizaine d’années, Inside marque votre retour. Pourquoi faites-vous si peu de films depuis Georgia (1981) ?
Il y a plein de raisons à cela. La plus importante, c’est que je ne suis pas à l’aise avec la conception dominante du cinéma en Amérique depuis une quinzaine d’années. Je n’aime pas la direction que prend le cinéma contemporain et du coup, mon intérêt pour ce médium s’est usé. Les films que veulent fabriquer les studios n’ont aucun sens pour moi. On fait essentiellement des films basés sur la technologie et les effets spéciaux, et les studios appartiennent désormais à de gigantesques multinationales. C’est la superindustrialisation du cinéma et tous les films se ressemblent. Les studios se fichent du public qui veut des films personnels, porteurs de sens ; ils travaillent pour un public international de masse et cela donne des films sans visage, sans dialogues mais avec beaucoup d’effets spéciaux. Mais je travaille baucoup, je fais du théâtre et j’en suis très heureux. Cela dit, le cinéma me manque parfois et quand j’ai une bonne occasion d’y retourner, je la saisis. C’était le cas pour Inside. Et après avoir fait ce film, j’ai retrouvé un certain appétit de cinéma. Je crois qu’il y a toujours des gens qui désirent voir des films qui soient autre chose qu’un produit de masse : le succès d’un film comme Fargo le montre.
Quelle était votre principale motivation avec un sujet comme celui d’Inside ?
Parler de la plaie du racisme, du fascisme. Inside se passe en Afrique du Sud mais le sujet a une certaine résonance pour les Américains. Même si la situation de chaque pays n’est pas exactement comparable, les mentalités racistes existent ici et là, apartheid ou pas. Mais ce film dépasse le cadre limité du racisme Blancs/Noirs ; je voulais évoquer toutes les formes de fascisme, toutes ces formes de violence que l’on voit trop souvent dans trop de pays. Le film essaie de poser la question « Qu’est-ce qu’un fasciste ? d’où vient-il ? comment devient-il fasciste ? » Dans le cas d’Inside, le policier est un petit-bourgeois, qui mène sa petite vie tranquille en dehors de son boulot de tortionnaire et qui s’imagine ne rien faire de mal. C’est très triste et un peu démoralisant mais le fascisme est un phénomène très humain, il est souvent le fait de gens ordinaires et persuadés d’être dans leur bon droit. On l’a trop souvent vu au cours de ce XXe siècle.
Croyez-vous que des films comme Inside, au message antifasciste appuyé, servent à alerter la conscience des spectateurs ?
On l’espère mais on ne sait jamais. C’est difficile de mesurer ce genre d’impact. Mais je ne cherchais pas à imposer un message au public, plutôt à lui montrer la « banalité du mal » cette expression formulée par Hannah Arendt à l’occasion du procès Eichmann. Les fonctionnaires qui servent le fascisme sont vos voisins de palier ! C’est une chose incroyable, qui n’en finit pas de m’intriguer. Ces gens ne sont pas des monstres sanguinaires, ils sont souvent très ordinaires.
Pourquoi la stylisation très théâtrale d’Inside ?
Je voulais même que ce soit encore plus resserré qu’une pièce de théâtre, encore plus concentré, afin d’obtenir un sentiment maximal d’isolement et de montrer comment l’isolement peut vous rendre dingue.
Comment le film est-il reçu en Afrique du Sud ?
Premièrement, il est bien reçu aux Etats-Unis. En ce qui concerne l’Afrique du Sud, il n’y est pas encore distribué parce que les exploitants craignent des flambées de violence. Evidemment, je suis surpris et déçu, mais en même temps, je les comprends. Là-bas, la situation est très tendue, on sent l’électricité dans l’air. Ce n’est pas si évident de retourner complètement toute une société en quelques mois. Il ne faut pas oublier que l’Afrique du Sud a changé de système à 180 degrés, ça ne se fait pas sans difficultés et pour l’instant, ce changement est entièrement dû au génie et à la densité humaine de Mandela. C’est lui, le ciment de l’Afrique du Sud, c’est grâce à lui que ce pays tient debout et j’espère qu’il va continuer à tenir, mais rien n’est sûr. Si Mandela venait à mourir, je ne sais pas ce qui se passerait.
Quel est le parcours qui vous a amené à devenir metteur en scène de théâtre puis cinéaste ?
Dans ma jeunesse, je n’étais pas du tout cinéphile. C’était même le contraire : enfant, j’ai vu un film qui m’a terrorisé et je n’ai plus mis les pieds dans un cinéma pendant des années ! Pendant les années 40, je combattais en Europe et ma première préoccupation était de rester en vie ! C’était quasiment une carrière en soi… Après la guerre, je suis resté en Europe et j’ai continué à travailler pour l’armée en tant que civil. On organisait des shows pour les troupes d’occupation en Allemagne, c’était mon premier contact avec le théâtre. Puis je suis rentré aux Etats-Unis et j’ai décroché un job à la télévision grâce à mon expérience de l’armée alors que le cinéma était toujours le cadet de mes soucis. Et là, j’ai commencé à m’intéresser à l’audiovisuel, à la manipulation des caméras, à l’image. A l’époque, la télé était toujours en direct il n’y avait pas de cassettes pour le différé et elle devenait tellement populaire qu’elle grignotait les chiffres d’entrées au cinéma. Les responsables des studios se sont dit qu’il fallait engager ces réalisateurs de télé qui leur piquaient le public. Et ils l’ont fait, ils ont engagé toute notre bande de la télé new-yorkaise : Sidney Lumet, George Roy Hill, John Frankenheimer et moi… toute une génération.
Sam Peckinpah faisait-il partie de ce groupe ?
Non, mais je l’ai connu plus tard. Il était un peu plus jeune que nous, en fait, mais… il buvait beaucoup trop !
Etiez-vous conscients de faire partie d’une nouvelle génération de cinéastes ?
Oui et non. On le sentait vaguement, mais sans se prendre trop au sérieux. Je m’en suis rendu compte en faisant mon premier film chez Warner, Le Gaucher, avec une équipe de techniciens du studio : ils n’aimaient pas trop ce que je faisais, ne comprenaient pas. Ils pensaient que ce film était étrange, que ce n’était pas un vrai western. Je travaillais très vite, ils n’y étaient pas habitués ; en tant que salariés du studio, ils n’avaient pas besoin de se dépêcher et de forcer puisqu’ils touchaient la paie à la fin du mois. Ma grande surprise, c’était à la fin du tournage quand les gens du studio m’ont dit « Au revoir et merci, maintenant, on va envoyer le film au montage. » Je ne comprenais pas cette façon de faire. Dans le système de la télé en direct, nous montions nous-mêmes nos émissions. Mais là, non, il y avait un département spécial pour le montage. J’ai mal accepté cette situation et j’ai quitté Hollywood pour rentrer à New York.
Malgré tout, étiez-vous satisfait du Gaucher ?
Je l’ai tourné tellement vite et avec tellement peu de pellicule grâce à mon expérience de la télé qu’ils avaient très peu de marge de man’uvre au montage ! J’avais quasiment fait le prémontage en tournant. Il n’y a que la toute fin du film qui n’est pas de moi je ne sais d’ailleurs toujours pas où ils l’ont pêchée !
Réalisiez-vous que votre génération marquait la fin de l’âge d’or hollywoodien ?
On peut dire ça aujourd’hui, mais à l’époque, je ne m’en rendais pas compte. La seule chose dont je me rendais bien compte, c’était cette histoire de montage fait par un autre. Je me suis dit « Au diable ce système ! Je ne veux pas faire de films si je ne peux pas les terminer moi-même. » Je suis rentré à New York et j’ai mis en scène des pièces de théâtre. La seconde était Miracle en Alabama. Quand les Artistes Associés ont voulu acheter la pièce pour en faire un film, ils ont souhaité prendre Audrey Hepburn pour le rôle principal. Il a fallu que je me batte pour Anne Bancroft, qui tenait le rôle dans la pièce. Puis j’ai demandé le final cut. Après des négociations difficiles, ils ont finalement accepté mes conditions. Ils étaient mécontents mais ils ont accepté quand même (rires)… C’est pendant le tournage de ce film que j’ai pris conscience des possibilités artistiques du cinéma. C’est seulement là que je me suis pris de passion pour le cinéma. Et parce que j’ai travaillé sur la pièce et sur le film, j’ai pu comparer. Avec le film, je pouvais aller dans des directions impossibles au théâtre.
Selon vous, quelles sont les différences de nature entre le théâtre et le cinéma ?
A la fin de Miracle en Alabama, l’héroïne amène un enfant à la fontaine. Au théâtre, il y avait une fontaine sur le côté de la scène, les personnages s’en approchaient, tiraient de l’eau, etc. Et c’était très émouvant, très réussi. En faisant la même scène pour le film, je me suis dit que la meilleure méthode serait de placer la caméra comme devant une scène et de filmer en plan-séquence très simplement, sans aucun effet. Et quand j’ai vu les rushes le lendemain, c’était terrible, nul ! C’était plat, ce n’était ni du théâtre ni du cinéma. Du coup, j’ai complètement retourné la scène, avec des plans de coupe et un montage très rythmé : l’eau éclabousse les mains, puis une main qui laisse couler l’eau, puis la réaction du visage de l’enfant, etc. Au théâtre, chaque spectateur a un regard qui est sa propre caméra, il sélectionne ce qu’il veut voir ; au cinéma, ça ne fonctionne pas. C’est l’avantage du cinéma : on peut tout retirer du cadre, sauf le détail que l’on tient absolument à montrer et à mettre en avant. Et avec une vingtaine d’angles différents, la scène de la fontaine avait une force décuplée et ressemblait à ce que je voulais. Ce fut pour moi une grande leçon de cinéma. Un autre aspect particulier du cinéma par rapport au théâtre, c’est le rythme, le tempo, le montage. Au théâtre, le rythme doit être bon dès les répétitions ; au cinéma, on peut travailler dessus au montage.
L’un de vos films les plus célèbres est Bonnie & Clyde, que Truffaut devait réaliser à l’origine.
C’était une commande et Truffaut l’a finalement refusée, à cause de la langue anglaise il n’a jamais pu comprendre l’anglais ! et du contexte américain. Il craignait de ne pas ressentir complètement une histoire si américaine. Nous nous étions connus ici, à Paris, juste après Le Gaucher ; lui venait de terminer Les 400 coups. Plus tard, il est venu me voir sur le tournage de Mickey one à Chicago. Nous étions bons copains. Mais nous n’avons jamais discuté de Bonnie & Clyde. Après le refus de Truffaut, on a proposé le projet à Godard qui a répondu « Oui, je peux vous le faire en trois semaines » (rires)… Ça n’a pas trop convaincu les producteurs et finalement, ils me l’ont proposé. Mais c’était une coïncidence, je devais représenter à leurs yeux la Nouvelle Vague américaine, je suppose.
Vous saviez donc que le cinéma changeait partout dans le monde, notamment en France ?
Bien sûr. Je connaissais Truffaut et Godard. Et je savais qu’André Bazin avait fait une critique très élogieuse du Gaucher alors que ce film s’était fait massacrer aux Etats-Unis. Et c’est en recevant des coupures de presse françaises que je me suis rendu compte que les choses bougeaient dans le monde. « Comment, les Français voient le film que j’ai voulu faire alors que les Américains n’y comprennent rien ! » C’était quand même assez fascinant. A partir de là, j’ai ressenti une sorte de fraternité avec les cinéastes français que je n’ai pas ressentie avec la plupart des Américains. J’aimais beaucoup les films français de cette époque A bout de souffle a quand même révolutionné le récit, le montage, le jeu des acteurs… Je crois que cette génération de cinéastes a compris que le cinéma n’était pas simplement du théâtre filmé, que c’était un mode d’expression en soi. Nous utilisions les possibilités propres au cinéma comment cadrer, comment monter… et ce travail faisait partie intégrante de l’histoire que nous racontions. La forme influençait le fond et vice-versa.
Vous avez beaucoup travaillé dans le cadre des genres classiques comme le film de gangsters (Bonnie & Clyde) ou le western (Little Big Man, Missouri breaks…).
Je n’essayais pas de dynamiter volontairement les genres. Par exemple, dans Le Gaucher, je voulais raconter simplement l’histoire d’un jeune homme qui n’a plus de père… Finalement, la seule chose qui rattachait ce film au western, c’est que le gars portait un Stetson et montait à cheval.
Little Big Man était le premier western raconté du point de vue des Indiens.
Oui, et ça m’a pris six années pour convaincre Hollywood de le faire. Il y avait déjà eu des westerns montrant de la sympathie pour les Indiens mais pas de film raconté de leur point de vue. Avec Little Big Man, il s’agissait d’aller au c’ur de la culture et de l’histoire indiennes. Mais pas seulement ça : je voulais aussi retraiter tous les mythes du western et m’amuser avec. Finalement, Hollywood a accepté de produire ce film parce que j’avais obtenu un gros succès avec Bonnie & Clyde. J’étais le réalisateur du moment, ils ont donc lâché l’argent mais encore une fois, plutôt à contrec’ur. Cela dit, ce n’était pas non plus un énorme budget. Et quand j’ai eu le feu vert du studio, je suis allé voir Dustin Hoffman et il m’a dit non ! Je n’en croyais pas mes oreilles. Il a fallu que j’en rediscute longuement avec lui pour qu’il accepte. En fait, il venait de connaître son premier bide avec John loves Mary de Peter Yates, je crois que ça l’a décidé pour Little Big Man.
Avez-vous mené beaucoup de recherches chez les Indiens ?
J’ai discuté des heures et des heures avec un historien spécialiste des Indiens, j’ai lu beaucoup de livres. Puis j’ai fait les repérages dans les réserves du Montana.
Comment une équipe de tournage était-elle reçue par les Indiens ?
Il y a eu toutes les réactions possibles : l’hospitalité, la bienveillance, la méfiance, l’hostilité… Quand on a reconstitué la bataille de Little Big Horn, on avait des dizaines de figurants, quelques cascadeurs et de jeunes Indiens armés de flèches avec des embouts entourés de caoutchouc protecteur, évidemment. On commence à tourner et tout d’un coup, j’entends un cascadeur hurler : il avait une flèche plantée dans l’œil ! Le caoutchouc avait été enlevé ! J’avais un cascadeur touché, réellement hors de combat. C’était comme un snuff movie. Etrange… Pour une autre scène, j’avais demandé aux figurants indiens de monter à cru et de descendre une colline au galop. Ils sont tous venus avec leurs chevaux, je leur ai demandé « Pouvez-vous monter sans selle ? Oui, pas de problème. » Je lance la scène, je commence à actionner les caméras et là, j’en vois plus de la moitié qui se cassent la figure ! Ils étaient incapables de monter à cru ! Mais ils voulaient absolument participer à cette scène et « revivre » leur grande victoire de Little Big Horn. Sur ce tournage, il y a vraiment eu un étrange mélange entre le cinéma, notre mythologie et leur mythologie. Leur sens du temps et des obligations n’a rien à voir avec le nôtre. Si je voulais cinq jeunes figurants pour le lendemain, j’avais intérêt à en demander vingt et avec un peu de chance, j’en avais cinq au rendez-vous. Les autres vous disent oui, puis ne viennent pas. Ils ne peuvent pas assimiler d’un seul coup notre rythme de vie. Dans une réserve, premièrement, les conditions sont très précaires, très pauvres. Deuxièmement, ils n’ont rien à faire de la journée. Alors quand ils ont soudainement quelque chose à faire, ils se disent qu’ils peuvent le faire demain, ou un jour prochain… Ils ont tout le temps devant eux. Le plus désolant il faut bien l’admettre , c’est que nous avons causé quelques dégâts psychologiques. Je sais qu’au moins un homme est devenu fou. Nous lui avions donné du pouvoir pendant le tournage, c’était l’Indien qui avait le plus de responsabilités. D’abord, il s’est pris pour le grand Chef Joseph ; ensuite, il s’est dit qu’il allait faire un grand film sur Chef Joseph ; puis il a voulu engager notre chef-opérateur et lui a proposé un cachet double de ce qu’il touchait. Finalement, il a perdu tous ses repères et il se prenait carrément pour Jésus-Christ. Ce que nous faisions était dangereux mais je ne le savais pas à l’époque. Revivre la bataille de Little Big Horn, non pas du point de vue de Custer comme c’était courant dans le western, mais du point de vue des vainqueurs, les Indiens, c’était une expérience très étrange. D’un autre côté, ce film a contribué à ce que les Américains regardent leur histoire en face. Le point de vue majoritaire était que les Indiens étaient des sauvages et que nous leur avions apporté la civilisation ; cette opinion a commencé à basculer dans les années 70. Il y avait aussi des mouvements politiques indiens, quelqu’un comme Brando était très actif de ce côté-là.
Dans La Poursuite impitoyable, il y a une bagarre intense et graphique, dans Bonnie & Clyde, de longues scènes de fusillades… Quelle est votre approche de la violence au cinéma ?
Ce que je fais dans mes films, je ne dirais pas que c’est de la violence. Je filme ce que font les personnages, ça découle de leurs actions et des événements de l’histoire que je raconte. Un film comme Pulp fiction est violent, parce qu’on ne sait pas qui est qui et que ça flingue de tous les côtés. En outre, la violence y est tournée en dérision, montrée comme une bonne blague. Ça ne veut plus rien dire : tuer un homme est mis sur le même niveau que commander un sandwich. Peckinpah et moi avons été accusés de violence, de corrompre la jeunesse et d’aggraver les problèmes urbains. C’est n’importe quoi. Aujourd’hui, alors qu’on fabrique à la chaîne des films de plus en plus violents, le taux de criminalité est en baisse aux Etats-Unis. On ne peut pas accuser les films de créer les problèmes sociaux et on n’a jamais pu démontrer un lien de cause à effet. Regardez deux enfants jouer et vous verrez que la violence existe en l’homme. Quand on filme l’expérience humaine, on ne peut pas en exclure la violence surtout si on filme l’Ouest américain, époque et endroit où les gens vivaient par le pistolet.
La question n’est pas tant de filmer la violence, mais plutôt comment la filmer.
Il ne faut pas que la violence devienne un spectacle ostentatoire, que le public en jouisse et en redemande. Je ne pense pas avoir filmé ainsi, je ne crois pas que Peckinpah ou Scorsese soient coupables de cela. Dans Missouri breaks, quand Brando est égorgé par Nicholson, on voit d’abord les yeux de Brando en gros plan, puis son visage et ensuite, on découvre la trace de sang autour de son cou. Le coup de couteau était hors champ. Voilà un exemple de la façon de montrer un acte violent sans exagérer.
La Poursuite impitoyable ne donnait-il pas une image du Sud un peu manichéenne, en insistant sur les beaufs rednecks racistes ?
Tout le monde sait que le sud des Etats-Unis était majoritairement raciste. Les toilettes séparées pour les Blancs et les Noirs, on ne les a pas inventées pour dénigrer le Sud. Quand j’étais à l’armée, les Noirs et les Blancs étaient bien séparés. La Poursuite impitoyable ne fait pas le portrait de tous les sudistes mais dépeint une atmosphère qui était dominante. D’ailleurs, ce film était écrit par des gens du Sud, Lillian Hellman entre autres. Dans le Nord, on trouvait que le film n’était pas assez antiraciste ; dans le Sud, au contraire, trop exagéré (rires)…
Quelle était la nature de vos rapports avec la communauté hippie que vous avez filmée dans Alice’s restaurant ?
J’avais beaucoup de sympathie pour eux. Je connaissais bien ces gens, nous étions de la même ville du Massachussetts. Je connaissais la vraie Alice. J’admirais cette génération, sa prise de position contre la guerre du Vietnam, la révolution sexuelle, les joints… J’étais en parfait accord avec tout ça ! Quand j’ai fait le film, il y avait une petite pointe de mélancolie parce qu’on sentait que c’était le début de la fin. Et malheureusement, cette époque est bien finie. J’ai beaucoup de nostalgie pour ce temps-là : la musique était géniale, le cinéma américain était à mon avis excellent et depuis, la normalité et le business ont repris le dessus. Mais je suis optimiste : les choses vont changer, au moins dans le cinéma, ce n’est pas possible autrement, cette époque est trop ennuyeuse. Le cinéma ne peut pas appartenir entièrement aux effets spéciaux. J’ai dîné avec George Lucas l’année dernière. Il me dit « Tu fais une scène avec cinquante personnes et moi, avec les ordinateurs, je te la transforme en scène avec cinq mille personnes. » Je lui dis « Super ! Mais à quoi ça sert ? A faire des superproductions à la DeMille pour beaucoup moins cher. Mais moi, je ne veux pas faire de films à la DeMille. » Bon, Lucas est un type génial, extrêmement brillant ; simplement, nous n’avons pas les mêmes valeurs, la même conception du cinéma.
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