Au Brésil, Kleber Mendonça Filho est devenu un symbole de la lutte contre le gouvernement, qui a censuré son film Aquarius, dans lequel Sônia Braga, star dans son pays, tient le premier rôle. Ils sont venus ensemble assurer sa défense pour sa sortie française.
Souvent, les cinéastes ressemblent à leurs films. La courtoisie, la propension à ne jamais hausser le ton et l’intelligence de Kleber Mendonça Filho évoquent l’écriture à la fois ample, elliptique et sereine de ses films. Après Les Bruits de Recife, très remarqué par la critique, Aquarius a eu l’honneur d’être sélectionné dans la compétition cannoise où il a marqué les festivaliers, achevant d’installer Mendonça parmi les nouveaux cinéastes à suivre absolument. Nouveau mais plus si jeune que ça, puisque notre homme est né en 1968.
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Kleber Mendonça Filho aime le cinéma depuis l’enfance, quand sa mère l’y emmenait. “Je me considère comme très chanceux d’avoir grandi dans les années 1970, estime-t-il de sa voix douce et calme, une excellente période pour le cinéma américain. De plus, je découvrais les films dans ces superbes salles édifiées dans les années 1930 et qui vivaient leurs derniers instants.” En effet, voir Rencontres du 3e type et La Guerre des étoiles à 9 ans dans des cinépalaces rococo ne peut laisser indifférent.
Mystères, échos, sons et silences
Ado, Mendonça Filho vit en Angleterre, passe à des cinéastes plus retors comme John Carpenter, puis ouvre la porte du cinéma européen avec Fitzcarraldo de Werner Herzog, où il prend conscience d’une autre façon de raconter et de filmer. Il aspire à devenir cinéaste mais, la Fémis n’existant pas au Brésil, il fait des études de journalisme et devient critique de cinéma.
“Cela me convenait parfaitement parce qu’à mes yeux, regarder des films, faire des films, écrire sur des films, c’est la même chose, le même processus intellectuel.” Après quelques courts métrages, Mendonça Filho signe donc en 2012, à 44 ans, Les Bruits de Recife, où l’on découvre son style fait de mystères, d’échos différés, de sons et de silences…
« J’aime bien ne pas tout expliciter, mes films ne sont pas comme Inception »
“J’avais les idées très claires sur ce que je voulais faire, rappelle-t-il, mais je ne suis pas certain que c’était aussi clair pour tous les spectateurs. J’aime bien ne pas tout expliciter. Mes films ne sont pas comme Inception, où les personnages expliquent plusieurs fois ce qui se passe.”
Aquarius prolonge cette grâce stylistique sur un mode peut-être plus accessible, ce film étant axé sur une figure centrale facilitant l’identification. La flamboyante Sônia Braga, la star brésilienne qui incarne cette héroïne, souligne : “Les Bruits de Recife m’avait transportée dans une autre dimension, physique et sensorielle. Aquarius est très différent, le scénario était truffé de dialogues.”
« Le marché dicte une narration »
Malgré cela, Mendonça Filho a gardé sa façon de faire progresser un récit à pas feutrés, par détours buissonniers qui finissent par converger. Sônia use d’une belle métaphore pour résumer le cinéma de Kleber : “C’est comme si vous regardiez un barrage. Vous vous approchez et finissez par apercevoir des petites fissures, des petites gouttes qui passent dont personne ne se soucie mais qui un jour feront exploser le barrage.”
Les films de Mendonça Filho véhiculent un substrat politique qui pour être discret n’en est pas moins affirmé. “Aquarius critique la violence policée de la loi du profit quand celle-ci devient une fin en soi, poursuit Kleber. Le marché dicte une narration, et si vous sortez de ce schéma narratif imposé, vous ne valez plus rien.”
Ces petites fissures portées au mur de l’ultralibéralisme ont fait “exploser le barrage” au Festival de Cannes. En haut des marches qui justifiaient cette fois leur couleur, l’équipe d’Aquarius arborait des affichettes condamnant le “coup d’Etat parlementaire” de la droite contre Dilma Roussef. Cette agit-prop en mondovision n’a évidemment pas plu aux putschistes. Aquarius a été interdit aux moins de 18 ans au Brésil (équivalent d’un arrêt de mort commercial) puis écarté de la course aux oscars.
Entourloupe aux oscars
Mendonça Filho n’est pas dupe : “La droite a d’abord appelé au boycott du film, sans l’avoir vu. Ensuite, il y a ce journaliste d’extrême droite très célèbre qui n’avait pas vu le film, qui n’était pas à Cannes, mais qui nous a attaqués en disant qu’on était là-bas en vacances, qu’on était payés par Roussef pour brandir nos panneaux de protestation, et autres mensonges absurdes. Comme par hasard, cette personne a été placée à la tête du comité brésilien pour les oscars ! Aquarius est le film brésilien le plus prestigieux depuis des années, mais ils ont sélectionné à la place un film que personne n’a vu !”
Sônia Braga est totalement solidaire de son réalisateur et dégaine une autre belle métaphore sur cette entourloupe aux oscars : “C’est comme si une équipe de foot était en finale et que le ministre des Sports décidait à la dernière minute de la remplacer par une équipe d’amateurs inconnus !”
Manifestement moins footeux que son actrice et ses compatriotes (il porte ce jour-là un T-shirt Joy Division), Kleber Mendonça Filho est surtout préoccupé par les effets à court terme de ce nouveau gouvernement illégitime : “Ils n’ont absolument aucun lien avec la culture et c’est une des choses les plus inquiétantes. Le New York Times leur a décerné une médaille d’or de la corruption. Heureusement que les milieux culturels du Brésil sont très soudés.”
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