Les jumeaux déploient sur la Côte landaise leur appétence pour la série B mâtinée de satire sociale.
À La Pointe, petite commune landaise en bord d’océan, on aime : les apéros qui s’éternisent, le paddle, les longues soirées d’été et, plus que tout, “poser son cul dans le sable sans rien foutre d’autre que regarder les vagues”. On n’aime pas : les Parisien·nes en villégiature, le Covid et encore moins les interdictions de baignade.
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Alors, quand la rumeur d’un grand requin blanc rôdant près des côtes commence à se répandre, la stupéfaction fait vite place à la grogne. Maja (Marina Foïs), gendarme maritime qui rechigne à prendre sa retraite anticipée, y voit une ultime occasion de briller au terme d’une carrière (trop) tranquille. Au grand dam de son mari (Kad Merad), qui a déjà réservé le mobile home en bord de mer, elle retarde une fois de plus son départ en retraite et se met en quête du grand squale.
La lunette grossissante de la série B
Un an après le réjouissant Teddy, variation pyrénéenne sur le thème du loup-garou, les jumeaux Boukherma (30 ans au compteur) réemploient les ingrédients qui avaient fait le sel de leur précédent film : ce croisement improbable et pourtant bizarrement cohérent entre satire sociale doucement rigolarde et film de genre assumé. Exit le loup-garou semant la terreur dans un bled paumé des Pyrénées, L’Année du requin s’envisage comme une semi-parodie des Dents de la mer relocalisée dans le Sud-Ouest.
Comme dans Teddy, derrière le vernis cool d’une improbable hybridation, l’irruption des codes du film de genre (ici, du shark movie prototypique) permet d’ausculter, par la lunette grossissante de la série B, les us et coutumes balnéaires d’une poignée d’irréductibles Gaulois·es, un poil réfractaires.
Le regard des Boukherma rappelle celui des frères Coen quand ils dépeignen le quotidien de péquenaud·es qui n’en sont pas vraiment
Tendre, parfois cruel mais jamais moqueur, le regard que portent les Boukherma sur leur sujet rappelle une fois de plus celui des frères Coen quand ils dépeignent avec drôlerie et un soupçon de malice le quotidien de péquenaud·es qui n’en sont finalement pas vraiment, sans éluder la part de bêtise de certain·es de nos congénères. Parce qu’elle préfère capturer le requin plutôt que l’abattre, Maja (qui a des airs de Frances McDormand période Fargo) devient soudainement l’ennemie publique numéro un et l’objet d’insultes et de menaces sur les réseaux sociaux.
Les frères Boukherma saisissent avec drôlerie, et le degré d’acidité qui convient, ce petit théâtre de la cruauté ordinaire, et dressent, par le truchement de ce shark movie respectueux de son lignage, le portrait microcosmique d’une France échaudée par deux ans de pandémie, prompte à croire la première théorie venue pour différer la réalité.
L’Année du requin de Ludovic et Zoran Boukherma, avec Marina Foïs, Kad Merad, Jean-Pascal Zadi (Fr., 2022, 1 h 27). En salle le 3 août.
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