Richard Linklater propose une épopée intime et galactique dans son nouveau film en animation.
Depuis son coup d’éclat nommé Boyhood, Richard Linklater a quelque peu disparu des radars – radars sur lesquels, il faut bien l’admettre, la discrète trace du réalisateur de Dazed and Confused ne s’est que trop rarement imprimée au cours de ses trois décennies de carrière.
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Personne ou presque n’a vu les excellents Everybody Wants Some!! et Last Flag Flying, quant à Bernadette a disparu, il n’a même pas eu l’heur d’une sortie salles en France. C’est sur Netflix qu’il faudra voir son nouveau long-métrage, Apollo 10 ½, mais noyé dans un océan de titres a priori plus alléchants et facilement “marketables”, il a hélas peu de chance de sortir du lot.
Une exploration de la mémoire
La plateforme de streaming n’est cependant pas le plus absurde des lieux pour découvrir ce film à la fois mineur et exaltant. Mineur parce que Linklater, encore plus qu’à son habitude, se glisse là, l’air de rien, dans une forme modeste, sans frime, ramassée pour les écrans domestiques. Mais la modestie chez lui n’a jamais été synonyme de paresse, et l’expérimentation n’est jamais loin.
En l’occurrence, le cinéaste d’Austin revient ici à sa technique de rotoscopie, vingt ans après Waking Life (un de ses plus beaux films ainsi qu’un des plus méconnus) et seize ans après A Scanner Darkly (où il adaptait Philip K. Dick), en compagnie du même animateur (Tommy Pallotta). Mais cette fois-ci, la peinture numérique qui recouvre les images filmées tire ces dernières moins vers le surréalisme (des rêves) que vers un hyperréalisme (des souvenirs). Ce que Linklater explore ici, c’est sa propre mémoire, mais mise à distance.
Souvenirs d’enfance
Autobiographie fantasmée, Apollo 10 ½ raconte l’enfance d’un certain Stanley à la fin des années 1960, à Houston, en pleine ruée vers la Lune, alors que la ville côtière texane héberge l’essentiel du programme spatial de la NASA. 10 ½, c’est à la fois son âge et le nom de code d’une mission secrète dont il est le protagoniste principal, et qui doit servir à préparer le vrai alunissage (Apollo 11) quelques jours plus tard. Mais c’est aussi, pourquoi pas, un clin d’œil au 8 ½ de Fellini, sommet d’intrication entre le réel, le rêve, et les souvenirs.
Narrée avec malice par Jack Black, cette enfance prend la forme d’une épopée intime et galactique où presque rien ne sépare une chambre d’adolescent du cosmos – ce qui pourrait être une définition du cinéma. Choisissant, pendant près de la moitié de son film, de ne plus s’attarder que sur des détails, de façon quasi-documentaire, délaissant complètement la dramaturgie – une tendance qu’on retrouve dans la plupart de ses films et qu’il pousse ici à son extrémité – au profit d’un catalogue étrangement poétique de ce que furent, culturellement (surtout), mais aussi politiquement et socialement, ses années 1960, anoblissant, enfin, la nostalgie sans la sacraliser, Linklater touche ici à l’essence de son art proustien.
Il raconte, avec une délicatesse et une intelligence infinies, cet âge d’innocence durant lequel l’humanité, une partie de l’humanité, a cru pouvoir s’affranchir de la pesanteur et repousser toutes les frontières. Ce passé est forcément doré dans le cerveau d’un homme blanc américain de 62 ans, mais celui-ci n’escamote pas le mal tapi sous le progrès, la catastrophe écologique sous le béton triomphant, le racisme sous les beaux discours, la violence sous la coolitude. En apparence un film doudou pour boomer (ou GenXer, pour être précis), Apollo 10 ½ se révèle progressivement comme l’exploration lucide d’un paradis perdu, perdu à jamais, mais qui nous aura laissé quelques leçons utiles pour affronter le présent – ainsi qu’une palanquée de bons disques à réécouter pour l’éternité.
Apollo 10 ½ de Richard Linklater. Disponible sur Netflix.
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