Dans un futur proche, les fans peuvent s’offrir les virus de leurs stars préférées. Une rêverie SF gore et arty par le fils de David Cronenberg.
Il faut commencer par la fin. Dans ce film qui – apparemment, visuellement, radicalement, comme une provocation – ne parle jamais d’amour et de sexe, il n’est peut-être question, en sous-main, que de cela. Comment finit le film ?
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Par la bouche d’un homme qui se colle à la fente sanguinolente qu’il vient de percer avec un scalpel dans une peau assez particulière qui appartient à une femme cérébralement morte connue de son vivant pour son absence de vulve… Boire le sang pour se désaltérer, mais aussi pour se repaître des virus dont il est porteur, pour devenir comme l’autre, entièrement, avec ses maux ? Serait-ce l’une des nouvelles formes d’amour trouvées par le fils Cronenberg après les propositions multiples de son père ?
Pardon de dévoiler la fin du film (qui ne révèle rien du récit en soi), mais c’est pourtant le début d’une carrière de cinéaste qui s’inaugure dans ce plan final, à l’image de l’œil fendu par un coup de rasoir du Chien andalou de Buñuel. Brandon Cronenberg, contre toutes les évidences (ce qu’on voit, les thèmes abordés), serait-il plus proche de Buñuel que de son père ? Non.
À la fois une grande évidence et une grande audace : c’est de son père (soit la moitié de ses gênes), dont il se dit très proche, qu’il part, comme un dernier au revoir, un hommage à celui auquel il doit beaucoup, et qui va le mener ailleurs. Anti-viral, ou comment se poser comme l’héritier d’un artiste qui a fait de la dissémination, de la viralité l’un des concepts principaux de son cinéma.
Tout commence comme un film d’espionnage du futur proche. Une nouvelle mode, un nouveau marché viennent de naître : désormais, les fans de stars ont la possibilité d’adopter les maladies dont souffre l’objet de leur désir. Prélevés sur ces vedettes contre de l’argent, les virus sont développés, vendus et injectés dans le corps de leurs admirateurs fous. Le héros du film, Syd March (Caleb Landry Jones, incroyable, avec sa peau de roux si photogénique), est l’un des employés du laboratoire Lucas (comme George ?), l’un des leaders de ce marché.
À la fois commercial et infirmier, il introduit lui-même les virus dans le sang de ses clients. Mais il a aussi développé son petit réseau parallèle : afin de revendre les virus de stars à des trafiquants, il se les injecte, puis les extrait grâce à une machine assez complexe une fois revenu chez lui. Syd subit souvent les effets secondaires des maladies mais s’en remet généralement.
Seulement, tout va mal tourner le jour où le dernier virus transporté par son corps va s’avérer plus dangereux que les autres, ne serait-ce que parce qu’il détruit la machine extractrice – impossible dès lors de s’en débarrasser…
Une machination va peu à peu se faire jour. Syd décline, Syd fait des cauchemars horribles, Syd, surtout, crache le sang noir que rejette son corps, objet de violentes hémorragies internes auxquelles personne ne peut mettre fin. Le gore arty se mêle à l’espionnage sci-fi, le suspense est à son comble : comment Syd s’en sortira-t-il ?
Le propos de Brandon Cronenberg est moral et cinématographique. Tout en raillant la naïveté et la folie des groupies, qui confondent l’être et le paraître, il pousse son projet vers l’abstraction, et vers une mise en scène étrange et envoûtante (la musique sublime composée par E. C. Woodley y participe aussi), où le but affiché semble être purement graphique : filmer du rouge (le sang) sur du blanc (de laboratoire). Filmer un corps qui devient de plus en plus blanc au fur et à mesure qu’il se vide d’un liquide rouge. Vases communicants. Un corps qui devient de moins en moins humain, et qui finit par ressembler à un insecte parcouru de vibrations, de hoquets, de soubresauts.
C’est le premier long métrage de Brandon Cronenberg. Gageons que ce n’est pas près d’être le dernier, que la relève est assurée, que la transmission s’est effectuée de père à fils, d’artisan à artisan : l’aventure Cronenberg continue, avec une remarquable et fascinante cohérence. Jusqu’où iront-ils ?
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