Marvel, année 8975 : plus personne ne comprend rien, quelques vagues visages familiers dépassent d’un paysage en plastique fondu, mais la machine refuse de s’arrêter.
À chaque fois que l’on croit que le MCU a atteint le stade terminal de son principe narratif de prolifération à vide, à chaque fois que l’on pense avoir englouti le morceau le plus étouffant et aberrant de sa gigantesque omelette multiverselle où plus rien n’a de sens depuis la clôture de la Saga de l’Infini, apparaît un nouvel objet qui surpasse le précédent.
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Ainsi la surchauffe qui a pu nous terrifier l’an dernier devant Dr Strange in the Multiverse of Madness ou Thor: Love and Thunder fait figure de petite migraine passagère à côté de celle d’Ant-Man et la Guêpe : Quantumania (par ailleurs on se calme un peu sur les titres, SVP ?).
Ant-Man a plus ou moins raccroché le costume et jouit tranquillement de sa notoriété de sauveur du monde, sans se rendre compte qu’il s’est éloigné de sa fille Cassie. Un mystérieux accident les expédie, avec toute la petite famille, dans le “royaume quantique”, infra-monde niché à l’échelle subatomique dont ils vont tâcher de sortir non sans s’être d’abord versés dans les conflits qui y grondent – car l’endroit est peuplé d’êtres variés, humanoïdes ou non, et en proie à la domination guerrière d’un mystérieux antagoniste.
Il y a dans ces prémisses quelque chose de tout à fait séduisant, une manière de renvoyer au cinéma populaire américain de la fin des années 1980 et ses contes du rétrécissement (Chérie…, L’aventure intérieure), en même temps qu’à un certain imaginaire merveilleux et onirique, entre Alice au pays des merveilles et Le Magicien d’Oz.
Mais Quantumania se révèle assez rapidement atteint d’une forme maladive d’inconséquence dramaturgique qui est le résultat indirect de ces dernières années de MCU, marquées sur le plan des récits par la notion de multivers et de dimension parallèle. L’ironie étant que le film n’est même pas (trop) concerné par une bascule dimensionnelle permanente, mais semble pourtant actionner des bascules invisibles à l’intérieur même de sa dimension, en déroulant des péripéties qui paraissent étrangement décorrélées les unes des autres.
Un blockbuster expérimental ?
Si le cinéma à grand spectacle s’affranchit de la narration pour muter en une concaténation d’événements arrachés au principe même de la causalité, Quantumania tient presque du manifeste, voire de la parabole méta sur ce phénomène déjà à l’œuvre depuis quelques années. En clôture du film, Rudd pérore en voix off en commentant ses exploits et se rend compte (c’est tout de même un peu vertigineux) qu’il ne sait pas si le film s’est bien ou mal fini – de fait, nous non plus, mais c’est une plaisanterie à laquelle on rit jaune tant elle cristallise une démission hollywoodienne révoltante : on ne sait plus du tout ce qu’on raconte, mais c’est pas grave.
Voilà donc un objet d’une radicalité relevant presque du blockbuster expérimental, mais dont l’expérimentation ne conduirait qu’à une liquidation émotionnelle. Il faut y voir la prémonition d’un Hollywood post-humain : le paysage du royaume quantique, déliquescence plastifiée de rouges et de violets (on dirait que le film est passé au micro-ondes), évoque un rêve de la machine, par ses similitudes avec les créations primitives de l’intelligence artificielle révélées par le département de recherche Google en 2015, et ses étranges formes d’escargot hallucinés. Des esprits zélés de la postmodernité se réjouiront peut-être de ce psychédélisme à génération procédurale, ouvertement dépourvu d’âme. Drôle d’idée, tout de même : réalise-t-on bien à quoi Hollywood est ici en train de renoncer ?
Ant-Man et la Guêpe : Quantumania de Peyton Reed avec Paul Rudd
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