Luc Besson réactive à nouveau sa fantasmatique de la femme guerrière en y tramant cette fois des résonances post-MeToo. Son savoir-faire en matière de thriller paraît bien déliquescent.
« On est en quelle année, déjà ? » demandait Kyle McLachlan dans la dernière saison de Twin Peaks. Cette question, Luc Besson ne cesse de se la poser dans son dernier film, Anna, et lui aussi peine à trouver la réponse, comme perdu dans les replis de son propre labyrinthe spatio-temporel, où le cinéma et la vie se confondent.
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Non pas qu’il soit difficile de se repérer dans la trame narrative du film : au contraire, tout est fait pour que le spectateur se repère précisément. C’est plutôt dans l’inconscient du cinéaste, dévoilé à ciel ouvert, que les choses se compliquent, pour le bonheur du petit psychanalyste qui sommeille en chaque critique.
Nous sommes d’abord en 1985, à Moscou (une année importante, pour Besson, puisqu’il réalise Subway, son premier succès commercial). Des agents infiltrés de la CIA sont arrêtés et exécutés par le nouveau chef du KGB.
Poupée russes
Cinq ans plus tard, 1990, dans une URSS désormais déliquescente, un model scout français repère sur un marché de poupées russes (tiens tiens) une jolie jeune fille, et lui propose de rejoindre Paris pour devenir mannequin. Elle accepte, et se retrouve plongée dans l’enfer chic du mannequinat, entre appartements cages à lapins, shootings sous la direction de photographes sadiques, et drague insistante d’hommes d’affaires lubriques.
Besson s’en tire plutôt bien dans la chronique goguenarde de ce milieu délétère, qui n’est de fait pas si différent du sien. Battrait-il ici sa coulpe, lui qui a été accusé d’agressions sexuelles, voire de viol, par plusieurs jeunes femmes aux situations proches de celle d’Anna ? Que ce soit conscient ou non (le scénario a sans doute été écrit il y a longtemps), l’ombre de Metoo plane indéniablement sur ce film, où 1990 semble piraté par 2017.
Mais très vite, le récit dévie, ou plutôt retrouve sa vocation initiale : l’espionnage. Car 1990, c’est bien sûr l’année où sort Nikita, dont Besson réalise là en quelque sorte un remake. Anna n’est en effet pas la gourde que l’on croit, ainsi que vont successivement nous le révéler des flash-back accordéons (six moins plus tôt, trois plus tard, deux ans plus tôt, etc.).
Toute la balourdise du monde
Et le cinéaste rejoue avec elle sa partition préférée : celle de « la femme forte » qui se sort de situations humiliantes. Le problème est qu’il le fait avec toute la balourdise du monde, arrivant après les similaires et infiniment plus aboutis Red Sparrow et Atomic Blonde. Tout ici est prévisible et ringard, pauvrement mis en scène (en particulier les scènes d’action).
Seule l’actrice Sasha Luss tire un peu son épingle du jeu. L’impression qui domine, mi-pathétique, mi-charmante, est de voir un cinéaste courir après un train en marche, sans jamais réussir à le rattraper.
Faille spatio-temporelle
Mais le plus amusant est de traquer les anachronismes, flagrants, comme si le réalisateur envoyait paître la reconstitution : des laptops IBM avec Word, clé USB, webcam et proto-internet, des téléphones portables (dont un Nokia 3310), etc. Like it’s 1999 ?
Pour mémoire, en 1999, Besson fondait l’empire EuropaCorp et devenait le boss du cinéma français. C’était le bon vieux temps, avant la faillite et les affaires judiciaires… Dans l’alambiqué labyrinthe spatio-temporel d’Anna, le fil d’Ariane du cinéaste pourrait bien être la nostalgie douceâtre de son apogée.
Anna de Luc Besson, avec Sasha Luss, Cillian Murphy, Luke Evans, Helen Mirren (Fr., 2018, 1h59)
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