Elle fut la première femme scénariste à Hollywood en 1912, en particulier pour D.W. Griffith, où son esprit faisait mouche sur les cartons de ses films muets. Portrait.
Avec l’éditrice Claudine Paquot, l’une des femmes qui ont aussi écrit l’histoire des Cahiers du cinéma, nous évoquions souvent la plus grande pionnière d’Hollywood, Anita Loos, dont on retient aujourd’hui le seul fait d’armes par lequel cette brune sublime prouva en 1925 que Les hommes préfèrent les blondes (même s’ils épousent les brunes). Or, bien avant la publication de ce roman, la Californienne née en 1889 (et morte à New York en 1981) a été la première femme scénariste, engagée en 1912 par D.W. Griffith pour la Triangle Film Corporation.
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Anita Loos est la première à avoir compris et formulé la place cruciale du carton dans la mise en scène du muet, expliquant que “toute tentative pour limiter la liberté des scénaristes, dans leur emploi des cartons, réduit leur champ artistique”, et élevant les intertitres à un dialogue brillant et spirituel avec le corps des acteurs. D.W. Griffith, qui avait chargé Loos d’écrire Intolérance en 1916, l’appelait “la jeune femme la plus brillante du monde”.
Cent cinq scripts entre 1912 et 1915
Anita Loos décida à l’âge de 6 ans qu’elle serait écrivaine. Adolescente, elle suit son père, un journaliste alcoolique, dans les quartiers interlopes du port de San Francisco, vagabondages qui inspireront ses premiers textes. Elle est actrice, écrit des articles sur sa vie mondaine fictive à New York, puis des pièces de théâtre, et envoie son premier scénario, He Was a College Boy (1912), à la Biograph Company qui la paie 25 dollars. Son troisième scénario; The New York Hat (1912), réalisé par D.W. Griffith, avec Mary Pickford, Lionel Barrymore, Lillian et Dorothy Gish, est le premier à être produit.
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Entre 1912 et 1915, elle écrit cent cinq scripts, dont seulement quatre n’ont pas été produits. Les historiens du cinéma américain considèrent que l’art du sous-titre est né avec le film His Picture in the Papers (1916), sur un scénario d’Anita Loos écrit pour Douglas Fairbanks. “Mon carton le plus populaire introduisait le nom d’un nouveau personnage. Le nom ressemblait à : ‘Comte Xxerkzsxxv’. Puis il y avait une note, ‘A l’intention de ceux d’entre vous qui lisent les titres à voix haute, vous n’arriverez pas à prononcer le nom du comte. Vous pouvez juste le penser.”
Penser, c’était la spécialité d’Anita Loos. Griffith n’était pas le seul à avoir compris qu’elle faisait de la pensée la matière même de la mise en scène. Lillian Gish a raconté sa première rencontre avec “cette femme minuscule dotée d’un cerveau d’homme” : “Elle me terrifiait. Je me taisais chaque fois qu’elle était dans les parages, mais j’écoutais. A la même époque, comme je n’avais pas fait d’études, je lisais Spinoza, et son esprit était tellement acéré que je l’appelais madame Spinoza, pas devant elle, mais avec les autres. Ça a fini par devenir une espèce de surnom drôle pour cette petite chose ravissante aux yeux noirs, qui avait ce cerveau tellement brillant pour la comédie.”
Réalisatrice souvent non créditée
Quand Douglas Fairbanks, Sr. fait son entrée aux Fine Arts/Triangle Studios, Loos fait équipe avec le réalisateur John Emerson pour écrire les scénarios qui vont faire de Fairbanks une star. C’est la combinaison de l’humour de la scénariste et de l’énergie physique de l’acteur qui sont à l’origine de son succès. Anita Loos a raconté que le défi, pour elle, consistait à trouver “les endroits les plus variés d’où Doug pouvait sauter”.
Il existe une analogie étonnante entre le couple formé par la scénariste Loos et le réalisateur Emerson (ils se marient en 1920 et écrivent ensemble six films pour l’actrice Constance Talmadge) et celui que formaient à la même époque Colette et Willy. Même duo de travail dissimulant que la femme dans l’ombre est la véritable autrice, voire, dans le cas d’Anita Loos, la véritable réalisatrice non créditée. (Loos aurait dirigé Talmadge dans Mama’s Affair en 1921.) Même relation marquée par la folie et la violence masculines, que Loos et Colette doivent fuir pour écrire et vivre en leur nom. En 1951, Loos transforme le roman Gigi en pièce de théâtre et les deux femmes deviennent amies.
Quand Loos publie Les hommes préfèrent les blondes en 1925, elle est l’autrice très reconnue de plusieurs centaines de scénarios, au point que Louella Parsons lui consacre souvent sa chronique du New York Telegraph. Ce roman, adapté par Howard Hawks en 1953, et qui eut pour premiers fans William Faulkner, Aldous Huxley et Edith Wharton, élève la sororité (le duo Marilyn Monroe/Jane Russell chez Hawks) en utopie burlesque. “Remember honey, onyour wedding day, it’s ok to say yes !”
De l’œuvre immense d’une femme qui se leva toute sa vie à 5 heures pour écrire, retenons aussi La Femme aux cheveux rouges de Jack Conway avec Jean Harlow (1932), Saratoga de Jack Conway (1937) et surtout le sublime Femmes de George Cukor (1939), où explose l’humour féroce, subversif et sexy de la madame Spinoza d’Hollywood, qui ne cessa d’ausculter, jusqu’à sa mort joyeuse à 92 ans, son pays et ses semblables, de ses yeux noirs de jeune fille impertinente en avance sur son temps.
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