Le réalisateur britannique sort cette semaine « La Route Sauvage », un quatrième film toujours aussi remarquable dans sa capacité à distiller la sensibilité et la mélancolie toute particulière de ses personnages. Nous l’avons rencontré pour évoquer son ancrage dans le cinéma LGBT, son amour de l’oeuvre de Gus Van Sant et ses premiers émois de cinéphile.
En à peine dix ans de carrière, quatre films et une série, Andrew Haigh est parvenu à ériger une filmographie à la fois ultra-cohérente et plutôt diversifiée. Si une extrême sensibilité reste la composante essentielle de son cinéma, il l’a fait voyager à travers les différents âges de la vie de ses personnages (chacun de ses films s’intéressant à une tranche d’âge bien spécifique) autant que dans des environnements (ville-campagne), des temporalités (d’un week-end à une année complète) et des pays différents (Angeleterre et Etats-Unis). Mais cette maturité a esquissé son premier geste sur le tard. Très loin de la précocité d’un Xavier Dolan, Andrew Haigh a mis du temps à réaliser son premier court-métrage et même à s’intéresser au cinéma :
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« J’ai grandi dans la banlieue de Londres. Mes parents occupaient des emplois on ne peut plus normaux. Ils n’avaient pas d’intérêt particulier pour le cinéma ou même l’art en général. Nous allions voir les blockbusters comme par exemple E.T. mais c’est tout. Ce n’est que vers 16 ans que j’ai vraiment développé un attrait pour le cinéma. Une fois arrivé à l’université, j’ai commencé à louer beaucoup de films et à assidûment fréquenter un cinéma d’art et d’essai dans lequel je travaillais également comme ouvreur. Je me rappelle avoir découvert des films comme L’avventura d’Antonioni, Ne vous retournez pas de Nicolas Roeg ou Blue Velvet de David Lynch. C’est en voyant ces films que j’ai pour la première fois réalisé l’étendue du pouvoir du cinéma, sa capacité à proposer des narrations, des émotions et des atmosphères radicalement différentes de ce que j’avais l’habitude de voir. »
A 25 ans, il effectue son coming-out et réalise en même temps son premier court-métrage, Oil (2003), un film de deux minutes qui s’empare de thématiques gay et qui sera sélectionné dans plusieurs petits festivals:
« J’ai fait mon coming-out assez tard. Et très vite, j’ai commencé à faire des films avec des contenus gay. Je ne pense pas que ce soit un hasard, ma carrière de cinéaste a liée à mon orientation sexuelle. Je suis gay, et cela influencera toujours mes films. Etre homosexuel joue un rôle très important dans ma vie et cela a aussi influencé la façon dont j’ai grandi, avec ce sentiment d’être diffèrent des autres, parfois seul ou rejeté. Même si mes films ne sont pas toujours centrés sur des personnages homosexuels, j’ai le sentiment qu’ils partagent tous une sensibilité queer. Cela ne me dérange pas du tout d’être définit en tant que réalisateur LGBT. »
Après avoir été assistant monteur, notamment sur des films de Ridley Scott comme Gladiator (2000) et La Chute du faucon noir (2001), il réalise son premier long-métrage à 36 ans. Intitulé Greek Pete (2009), le film narre un an dans la vie d’un jeune escort boy londonien. Il acquiert une petite renommée internationale avec son film suivant, le sublime Week-end (2011), qui raconte cette fois-ci une histoire d’amour entre deux trentenaires à Nottingham, vécue dans la compression d’une fin de semaine.
Cette renommée va lui permettre d’être repéré aux Etats-Unis où il produit, écrit et réalise une grande partie des épisodes de Looking (2014-2015), une série diffusée sur HBO qui s’intéresse aux histoires d’amour, d’amitié et de travail de trois amis gays vivant à San Francisco. Il revient ensuite en Europe et signe 45 ans (2015), un drame s’intéressant cette fois-ci aux vicissitudes d’un couple de retraités formé par Charlotte Rampling et Tom Courtenay. Ce film lui vaut sa première sélection dans un grand festival puisqu’il est présenté à la Berlinale d’où il repartira avec les Ours d’argent de meilleure actrice et de meilleur acteur.
La Route sauvage, son niveau film en salle cette semaine, a pour sa part été sélectionné en compétition à la Mostra où là encore, il a remporté un prix d’interprétation pour la performance du jeune Charlie Plummer. Adaptation d’un roman de l’écrivain américain Willy Vlautin, le film nous plonge dans l’Amérique profonde, celle de l’Oregon, des grandes plaines du nord-ouest. On y suit Charley, un adolescent débrouillard, abandonné par sa mère et tant bien que mal élevé par un père fauché, plus préoccupé par ses conquêtes féminines que par son fils. A 15 ans, il ne fréquente plus l’école et parvient à se faire embaucher comme palefrenier auprès d’un éleveur de chevaux de course (Steve Buscemi) qui, approchant de la retraite, les envoie les uns après les autres à l’abattoir. Lorsque la tragédie de trop frappe Charley, il kidnappe son cheval favori et décide de prendre la fuite à travers le désert.
Fan du cinéma de Gus Van Sant, Andrew Haigh a choisi Charlie Plummer pour sa ressemblance avec les acteurs affectionnés par l’auteur de My Own Privaye Idaho (1991) :
« J’aime beaucoup Gus Van Sant. Je pense qu’en choisissant Charlie Plummer comme acteur principal, je reproduis un peu le type d’acteur que Gus choisit. Ce sont des garçons ou des jeunes hommes très sensibles et doux. Il y a d’ailleurs de vraies similitudes entre River Phoenix et Charlie Plummer. En plus de leur ressemblances physique, ils partagent une forme de tristesse intérieure très intense. »
En plus d’être un portrait de l’Amérique rurale, on retrouve dans La Route Sauvage la composante principale du cinéma d’Andrew Haigh, à savoir une sensibilité extrême à soi, aux autres et au monde :
« Je fais du cinéma pour explorer le monde, me comprendre et comprendre les autres. Mes films sont très personnels. Je pense que l’empathie a un rôle très important dans mon cinéma. Tous mes films sont centrés sur des personnages regardant en eux, observant ce qu’ils sont, ce qu’il aimerait être. D’une certaine manière, ils cherchent tous à donner un sens à leur vie, ou à le restaurer, pour finalement se rendre compte que chaque étape de la vie est compliquée. Cette articulation entre espoir et mélancolie me passionne. Lorsqu’on est seul, on se dit, « quand je rencontrerais quelqu’un, je serai heureux ». Et on rencontre quelqu’un pour réaliser que le bonheur n’est pas si complet que ce qu’on imaginait. Quand j’avais 20 ans, je pensais que si j’arrivais un jour à être réalisateur, je serais parfaitement heureux. Mais ça ne marche pas comme ça. »
Avant de réaliser un nouveau long-métrage l’an prochain, il s’est attelé à une nouvelle série pour la BBC cette fois. Adaptation d’un roman d’aventure de Ian McGuire, The North Water nous fera prendre place à bord d’un baleinier en mission en Arctique dans les années 1850, en compagnie d’une vingtaine d’hommes parmi lesquels se cache un meurtrier. Une survival story composée de cinq épisodes d’une heure qu’Andrew Haigh écrira et réalisera lui-même.
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