Médecin, musicien et acteur, ce Norvégien de 37 ans révélé par Oslo, 31 août illumine Ce sentiment de l’été, le deuxième long métrage de Mikhaël Hers. Rencontre avec Anders Danielsen Lie, le plus beau visage mélancolique contemporain.
Anders a 30 ans. Longiligne, en jean et blouson noir, il sort, pour la journée, de sa cure de désintox afin de passer un entretien d’embauche. Oslo, qui vit ses derniers jours d’été, est baignée d’une douce lumière. Anders visite des proches, évoque le passé, s’enfonce dans la nuit, la musique electro. Une fille flirte avec lui au bord d’une piscine. Le réel lui tend les bras. Mais il est incapable de s’en saisir, terrassé par le sentiment de ne pas être à la hauteur de ses idéaux. La mort, alors.
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Beau succès de l’hiver 2012, Oslo, 31 août, adaptation du Feu follet de Drieu la Rochelle, en plus de confirmer le talent d’un cinéaste, Joachim Trier, aura durablement imprimé sur la rétine la silhouette de son acteur principal, Anders Danielsen Lie. Un Norvégien à l’allure de grand oiseau tourmenté, à la beauté anguleuse et au visage que l’on aime “regarder penser”, comme dit Trier.
L’incarnation contemporaine de la mélancolie
Cinquante ans après Maurice Ronet (qui tint le même rôle dans l’adaptation que Louis Malle a fait du Feu follet), Anders Danielsen Lie devint aussitôt l’incarnation contemporaine de la mélancolie et d’une génération qui ne parvient pas à trouver du sens dans des schémas de vie (familiaux, professionnels) bâtis par les générations antérieures.
Un poil moins grand et plus mince que ce qu’on aurait pensé, vêtu avec une sobriété toute nordique, Lie, que l’on rencontre à Paris, acquiesce en buvant son Perrier. “Il y a quelque chose de moi dont je n’arrive pas à me débarrasser qui manifestement plaît aux réalisateurs qui font appel à moi. Une tristesse, une mélancolie. Cela tient sûrement à mes expressions faciales. C’est un outil que j’ai.”
Et qui n’a pas échappé au jeune cinéma français ou européen. Après Trier, qui l’emploie à deux reprises, dans Nouvelle donne en 2006, puis dans Oslo, 31 août, Lucie Borleteau l’embarque sur son Fidelio, l’odyssée d’Alice où il incarne un amoureux transi et un peu malmené par l’incandescente Alice (Ariane Labed).
Trentenaire un peu mou mais délicat
Cette semaine, il est à l’affiche du subtil et proustien Ce sentiment de l’été, le deuxième long métrage de Mikhaël Hers. Le cinéaste, issu de la Fémis, l’a contacté après avoir vu Oslo, 31 août et lui a écrit un rôle qui résonne fortement avec le film de Trier. Le cheveu ras, Anders est Lawrence, un trentenaire un peu mou mais délicat qui peine à donner une suite à son premier roman et se bat avec ses rêves de création non assouvis.
Il partage sa vie et un appartement berlinois avec Sasha, une jeune femme terrienne et volontaire qui bosse dans un atelier de sérigraphie. Subitement, un jour d’été, elle meurt. Tout l’équilibre de Lawrence est rompu.
Dans cette histoire de deuil, cette mécanique sensible qui se déploie dans le temps entre Paris, Berlin, New York et Annecy, Anders Danielsen Lie impressionne et bouleverse. Sur son visage, on lit le ravage, les effets du temps qui passe, puis le surgissement de la pulsion de vie, un sourire qui irradie et chasse les pensées sombres. Une des grandes réussites du film est la relation rare que Lawrence noue avec Zoé (Judith Chemla, formidable), la sœur de sa compagne décédée.
“En tournant, je voulais qu’il n’y ait rien. Que le public imagine ce qu’il veut”
Dans l’esprit de Lawrence, elle devient un prolongement de Sasha, un support à sa mélancolie. “Il y a peut-être des gens qui vont projeter quelque chose de romantique entre ces deux personnages. En tournant, je voulais qu’il n’y ait rien. Que le public imagine ce qu’il veut”, explique-t-il de son phrasé calme, en prenant le temps de choisir soigneusement ses mots.
“Je ne crois pas en la véracité psychologique”
Tourner quasi intégralement en français n’a pas été une mince affaire pour le Norvégien. “Je me suis enfermé tout l’été avec un gros dictionnaire, plaisante-t-il. Cela dit, avec Joachim (Trier – ndlr), pendant Oslo, on ne s’est presque jamais parlé. Il suffisait que je le regarde pour savoir ce qu’il pensait. Avec Mikhaël (Hers – ndlr), on a mis quelques semaines à trouver notre façon de travailler. Il est très précis dans ses instructions.
“C’est ce que j’aime en tant qu’acteur. Je déteste les indications vagues du genre : ‘Imagine que tu reviennes de l’enterrement de ta mère’. Cela ne fait pas sens que l’acteur vive le personnage, je ne crois pas en la véracité psychologique.”
Sa mère à lui, toujours vivante, est actrice pour le cinéma et la télé norvégienne. C’est grâce à elle qu’il joue, dès 10 ans, dans la minisérie Herman. Une expérience qu’il juge décevante. “Après ça, je me suis dit que ce n’était pas pour moi. J’avais peur de plonger dans certains états émotionnels.”
Dans sa chambre à jouer de la batterie
Ado, il se jette dans la musique et passe tout son temps dans sa chambre à jouer de la batterie et à enregistrer sur son quatre-pistes. Quatre cents cassettes accumulées dont il a sorti un album, This Is Autism, en 2011. “La musique tient toujours une place fondamentale dans ma vie. Je suis fou de jazz, et je suis toujours fan du premier album de Burzum, le projet black metal de Varg Vikernes.”
Il aime aussi beaucoup Mac DeMarco, qui se produit en concert dans une scène du film de Mikhaël Hers. “Quand on m’en a parlé, je me souviens qu’une petite alarme hipster a résonné dans ma tête. Mais il est un songwriter incroyable. Il a été capable de livrer des performances très différentes de son travail.”
Grand éclat de rire
A la vingtaine, il laisse de côté ses velléités artistiques pour embrasser la vocation de son père : il sera médecin. Un métier qu’il exerce toujours à Oslo. “C’est un métier que j’aime énormément, qui m’a beaucoup aidé dans mon jeu d’acteur. Je côtoie des gens en situation extrême et c’est une grande source d’inspiration.”
Quand on lui demande si la réciproque est vraie, si être acteur l’aide également à être médecin, il part dans un grand éclat de rire : “Oui, c’est très juste !” Depuis une dizaine d’années, il partage sa vie avec une top blonde qu’il a épousée. Ils sont les parents d’une petite fille. Et on a vu les deux tourtereaux poser en maillot sur le ponton du fleuve dans lequel se baignent les Norvégiens l’été pour le T Magazine, le supplément du New York Times, qui publiait une édition sur le Oslo branché.
“La célébrité ne m’intéresse pas”
De plus en plus courtisé par le cinéma, Anders Danielsen Lie n’imagine pas pour autant raccrocher le stéthoscope. “J’aime le tournage, créer un personnage… Quant à la suite, je suis plus ambivalent : la presse, l’attention, tout ce que tu dois faire pour obtenir de nouveaux rôles, être un personnage public… la célébrité ne m’intéresse pas”, explique ce cinéphile fin connaisseur du cinéma français. Il cite la Nouvelle Vague, qui a influencé son travail avec Trier, mais aussi Arnaud Desplechin, qu’il tient pour un des plus grands cinéastes actuels, Claire Denis (Beau travail est l’un de ses films préférés) ou encore Olivier Assayas, avec qui il vient de tourner Personal Shopper.
“Je joue le petit ami de l’ex-copine du frère jumeau de Kristen Stewart. Un petit rôle, mais important.” Il marque un temps, avant de conclure : “Je crois que j’aime plus les films, le cinéma, qu’être un acteur. Plus le temps passe, plus cela se confirme. Etre un acteur est ma façon de contribuer.”
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