La balade inspirée, dans Paris, d’un promeneur moderne, schizophrène et poète. Film free constellé d’éclats, de fragments, de divagations.
Après L’Afrance, vision singulière de l’immigration, Alain Gomis approfondit son exploration des marges avec le portrait disparate d’un baladin allumé, Yacine, être disert et mobile, insaisissable et sans attache, qui sillonne les rues de Paris, souvent la nuit, tantôt provocateur, voire agresseur, tantôt altruiste et attentif. Après le fascinant L’homme qui marche, d’Aurélia Georges, voici un nouveau promeneur dégingandé en porte-à-faux avec le monde contemporain, avec la société française, un paria inspiré et fébrile. Yacine représente ce qu’il y a de plus proche dans notre cinéma des nouveaux superhéros américains, êtres ordinaires qui se jouent des contingences humaines (Heroes, Jumper).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Comme eux, Yacine est un passe-muraille, qui non seulement traverse toutes les couches de la société, de la soupe populaire aux limousines, mais pénètre sans encombre chez des gens qu’il ne connaît pas, visite leur appartement bourgeois de fond en comble, et en ressort aussi simplement. La comparaison avec les êtres aux pouvoirs surnaturels n’est pas une simple métaphore puisque Yacine esquisse vraiment, à la fin du film, un début de lévitation. La force et la spécificité d’Andalucia est d’être aussi libre que son personnage central. Le film est autant naturaliste, au bord du documentaire (sensation que renforce un filmage assez brut dans les rues), que poétique. Une “tempête d’images”, au sens où l’entendait Johan Van der Keuken, accompagne les errances physiques et mentales du personnage ; sa schizophrénie est au diapason des visions qui habitent le film et le font swinguer (comme la démonstration verbale et visuelle autour d’un but mythique du grand footballeur Pelé).
Andalucia est un film free au sens jazzy, une collection de moments plutôt qu’un scénario linéaire et bouclé, dont l’agencement correspond plus à un souci de rythme que d’intrigue. On a l’impression d’une permanente improvisation (bien que tout compte fait, il y en ait assez peu), car tout y semble de l’ordre de l’aléatoire. Y compris la fin étrange, qui justifie le titre (Yacine se retrouve en Espagne) et qui tout en ressemblant à une paraphrase religieuse (le héros devient une figure presque sainte) reste intensément légère et ludique. Voir l’épatant jeu de piste débuté à Paris et aboutissant à Tolède, où des passants anonymes tout le long de son chemin indiquent à Yacine la direction de la salle des tableaux d’El Greco, qui sont comme autant de fragments de son moi dispersé. Cela n’empêche pas par la même occasion Alain Gomis de dresser, comme dans L’Afrance, mais sans s’appesantir, un état des lieux de l’exclusion et de l’immigration. Il pourrait se résumer à cette excellente séquence où Yacine s’en prend à un flic de supermarché maghrébin qui le suit parce qu’il a l’air arabe. A sa façon tangentielle et détachée, Gomis vise aussi bien le cœur de notre monde déphasé que les étoiles.
{"type":"Banniere-Basse"}