François Truffaut aimait qu’une actrice soit vive, enthousiaste, intense et vibrante. Anaïs Demoustier est tout cela dans le beau D’amour et d’eau fraîche. Une fille à suivre.
Si j’étais cinéaste (Dieu m’en préserve), je sais qui je ferais tourner illico presto : miss Anaïs Demoustier, l’actrice qui monte, qui monte, qui monte. Surtout, je filerais voir son nouveau film : le beau D’amour et d’eau fraîche d’Isabelle Czajka (avec qui elle avait déjà travaillé sur L’Année suivante). Il marque un tournant dans sa carrière. Jusqu’ici, les réalisateurs cantonnaient Anaïs Demoustier dans des rôles d’adolescentes la plupart du temps difficiles, ingrates ou renfermées sur elles-mêmes. Très rarement espiègles (sauf dans le beau Belle épine de Rebecca Zlotowski, présenté en mai à la Semaine de la critique, où Anaïs, dans une jolie scène de douche entre filles, devise gaiement du sexe des garçons avec sa copine Léa Seydoux).
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Anaïs se l’explique très bien :
“J’ai la chance de pouvoir faire plus jeune que mon âge (elle a 23 ans, et sa voix garde des accents de l’enfance). Du coup, c’est vrai que l’on m’a beaucoup confié ce genre de rôles. Je ne le regrette pas parce que ce sont des rôles complexes, où par exemple le personnage pense souvent le contraire de ce qu’il dit. Je suis contente de pouvoir enfin jouer une vraie femme, avec une sexualité et un caractère affirmé.”
Anaïs a débuté très jeune. A 8 ans, attirée par tout ce qui est spectacle, elle commence à fréquenter des ateliers-théâtre. Née à Lille en 1987, elle vit à Villeneuve-d’Ascq, son père est responsable du développement international d’un grand circuit de distribution et sa mère élève ses quatre enfants (trois filles, un garçon). Sa passion pour le jeu, la danse et le chant ne cesse de grandir, entretenue par son grand frère Stéphane qui rêve de devenir cinéaste (il vient de tourner un court avec sa soeur et Grégoire Leprince-Ringuet) : c’est lui qui lui fait découvrir le cinéma. Son premier choc, c’est L’Enfer (1994) de Claude Chabrol. Plus tard, ce sera Loulou (1980) de Maurice Pialat, qui demeure encore aujourd’hui son film préféré et qu’elle regarde régulièrement :
“J’ai même acheté l’affiche. Un jour, j’ai fait un essai avec Depardieu, c’était génial : ce type est fou.”
Une jeune actrice fan de Pialat, voilà qui augure bien de l’avenir. Anaïs est bonne élève mais le cinéma va très vite l’appeler. Elle a 15 ans et prépare le brevet quand une directrice de casting et coach pour enfants (la “géniale” Kris Portier de Bellair) la découvre et la choisit pour jouer la fille d’Isabelle Huppert dans Le Temps du loup de Michael Haneke (2002). Une rencontre qui va décider définitivement de son orientation. Isabelle Huppert, son actrice préférée, l’impressionne par son professionnalisme, sa rigueur, sa concentration (“Elle se couchait très tôt le soir”, sourit Anaïs). Elle en tire la leçon qu’elle répète aujourd’hui à longueur d’interviews et qui tranche avec les propos convenus de nombreux acteurs :
“Acteur, c’est un métier, et je travaille mes rôles. Quand j’ai un trou entre deux films, je fais des stages de théâtre. Je peux aller jusqu’à New York pour acquérir une technique dont j’ai besoin.”
Serait-elle impatiente, angoissée ? Elle confesse qu’elle a failli tout abandonner quand, au bout de quatre mois, aucun rôle ne se proposait plus à elle :
“Je m’étais même renseignée sur la formation pour devenir ostéopathe…”
Montée à Paris avec le bac en poche il y a à peine cinq ans, elle s’inscrit en lettres et cinéma à Paris-III (Censier) mais doit abandonner très vite. Elle tourne dans le premier long métrage d’un élève de la Fémis : Barrage de Raphaël Jacoulot, présenté à Berlin au Forum (2006). Christophe Honoré lui fait jouer deux rôles secondaires, l’un dans son film La Belle Personne (2008), l’autre au théâtre l’année dernière à Avignon dans Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo, aux côtés d’Emmanuelle Devos et Clotilde Hesme. Cette première au théâtre l’a enchantée (elle devrait y retourner avec Emmanuelle Devos en 2011 dans une pièce écrite par François Bégaudeau).
On la voit aussi dans une comédie assez horrible, Le Prix à payer d’Alexandra Leclère, qui lui vaut malgré tout d’être nominée pour le César du meilleur espoir féminin en 2007 ; et dans Les Grandes Personnes d’Anna Novion (2008) aux côtés de Jean-Pierre Darroussin qu’elle apprécie beaucoup, ou dans Donne-moi la main de Pascal-Alex Vincent (2009) :
“Je regrette que ces films n’aient pas bénéficié d’une meilleure distribution. J’ai conscience et je suis contente de travailler dans un cinéma qui me plaît, où l’on respecte les personnes, les acteurs et où je souhaite continuer à travailler. Mais il y a le revers de la médaille…”
Actuellement, elle tourne à Rouen dans une adaptation de La Joie de vivre de Zola, réalisée pour la télé par Jean-Pierre Améris. Elle est revenue à Paris l’espace d’une soirée pour faire la promotion de D’amour et d’eau fraîche. On la regarde reposer sa canette de bière et allumer une clope avec un sourire : cette jeune actrice joyeuse et jolie, entre deux âges de la vie, sans maquillage, qui aime les concerts rock, est visiblement en train de vivre une des plus belles périodes de son existence, de celles où tout paraît possible, où l’on a envie de tout bouffer.
Dans un beau texte (Introducing Fanny Ardant, en 1981), Truffaut dressait la liste des qualités qu’il appréciait chez une actrice :
“Vitalité, vaillance, enthousiasme, humour, intensité mais aussi, sur l’autre plateau de la balance : le goût du secret, un côté farouche, un soupçon de sauvagerie et, par-dessus tout, quelque chose de vibrant.”
Anaïs Demoustier les possède toutes. Maintenant, il faut les exploiter, la faire jouer, lui faire porter d’autres masques, varier les rôles pour qu’elle ne s’ennuie pas et ne nous lasse jamais. Alors n’oubliez pas son nom. Il fait penser à la vibration d’aise d’une cigale sous le soleil : Anaïs Demoustier, Anaïs Demoustier, Anaïs Demoustier… (ad libitum).
D’amour et d’eau fraîche d’Isabelle Czajka, avec Anaïs Demoustier, Pio Marmaï (Fr., 2010, 1h30)
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