Rencontre avec deux grand·es acteur·trices, réuni·es pour la première fois par Quentin Dupieux dans son nouveau film, “Incroyable mais vrai”.
Dans le nouveau film de l’étonnant Quentin Dupieux, ils sont Gérard et Jeanne, un couple d’ami·es des personnages principaux, Marie et Alain, joué·es par Léa Drucker et Alain Chabat. On peut se demander pourquoi Chabat a gardé son vrai prénom et surtout pourquoi Léa hérite du prénom de sa cousine germaine, mais bon… Le Dupieux est taquin. Anaïs Demoustier et Benoît Magimel interprètent un couple archétypalement “beauf”, sûr de ses valeurs, décomplexé et hyper sexué.
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Rencontre détendue sur le canapé d’un palace parisien avec deux grand·es acteur·trices français·es très espiègles. Tout a commencé par une remarque générale de Benoît Magimel : “Est-ce qu’on a besoin de tout dire dans une interview ? Moi je crois que la vérité appartient à ceux qui voient les films.” Et c’était une jolie formule. Ensuite, j’ai posé une question bien moins belle :
Vous n’aviez jamais tourné ensemble ?
Anaïs Demoustier – Non, et moi j’étais trop contente, parce que ça faisait longtemps que je souhaitais rencontrer Benoît. J’ai tourné mon premier film Le Temps du loup de Michael Haneke, avec Isabelle Huppert, j’avais cinq-six ans, et pour moi, Haneke, c’était évidemment La Pianiste avec Isabelle Huppert et Benoît Magimel, que j’admirais depuis longtemps.
Benoît Magimel – Débuter avec Haneke, c’est très difficile, mais c’est bien, parce que ça met tout de suite la barre très haut.
Anaïs Demoustier – Oui, c’est vrai !
Et puis vous avez joué dans trois films de Chabrol qui sont loin d’être mineurs (La Fleur du Mal, La Demoiselle d’honneur, La Fille coupée en deux), monsieur Magimel !
BM – C’est d’ailleurs dans La fille coupée en deux que Quentin Dupieux m’avait remarqué. Il m’avait alors contacté, c’était en 2007, pour une première version, différente de celle qu’il a tournée en 2014 avec Alain Chabat, de Réalité, qui ne s’était pas faite.
Vous avez rarement joué des rôles comiques, dans votre carrière, Benoît ?
BM – J’ai toujours voulu faire rire les gens, mais ma carrière s’est orientée différemment. D’abord parce que l’écriture d’une comédie demande beaucoup d’exigence, donc les bons scénarios ne courent pas les rues, et puis j’avais vingt ans et j’ai toujours eu l’idée qu’on rit surtout quand les personnages ont déjà un certain vécu : parce qu’on rit de leur tragédie et qu’il faut pour cela qu’ils aient un passé. Avoir la quarantaine est formidable pour faire rire. Les possibles sont plus larges.
Vous êtes formidable dans le rôle de Jeanne. Vous n’aviez jamais joué ça !
AD – J’adore ! Elle est très touchante et sympathique, cette brave Jeanne ! J’ai tourné trois films avec Quentin Dupieux, et à chaque fois il me demande d’avoir l’air débile (rires). C’est très agréable à jouer. J’ai commencé le théâtre dans un spectacle à Lille, et comme Benoît, j’aimais faire rire et faisais vraiment rire les gens. Et puis quand j’ai commencé le cinéma avec Haneke, j’ai tout de suite joué dans des films d’auteur, sérieux, pas drôles du tout, très sombres. Et puis la comédie est venue, et j’adore ça ! Ensuite, il faut faire des choix, Benoît a raison : il y a moins de bonnes propositions dans la comédie. Le grand talent de Quentin, c’est qu’il écrit des dialogues merveilleux d’une très grande précision. On a un support qui ressemble à une partition. Donc grand plaisir, dont celui du travestissement : perruques, faux seins.
Participez-vous à la création des costumes ?
AD – Pas du tout, c’est Quentin qui fait tout, et il a un trip capillaire… Dans Au poste, j’avais les cheveux frisés blonds, là j’ai une perruque années 1980…
BM – On arrive aussi avec nos propositions, et elles évoluent, tout est ouvert avec Quentin. On retrouve chez lui le plaisir du jeu, du déguisement, de l’enfance. Quand je suis arrivé sur le tournage, il avait peur que je sois maigre parce que je sortais du tournage de De son vivant, d’Emmanuelle Bercot [où Magimel jouait un homme condamné par la médecine]. Et en me voyant, il a cru que j’avais un faux ventre, mais pas du tout ! (rires) Mais ses scénarios sont très travaillés, un équilibre parfait. Les dialogues sont effectivement très écrits. Dans le passage où j’explique comment fonctionne ma “prothèse sexuelle numérique”, j’avais tendance à rajouter des dialogues, et je me suis rendu compte que plus je le faisais, moins ça fonctionnait…
Léa Drucker me racontait en riant, il y a quelques semaines, qu’elle avait adoré tourner avec Dupieux, parce qu’il la flattait beaucoup : “Par exemple je traverse une rue dans un plan, rien de très compliqué, donc, il crie ‘Coupez‘, puis vient me souffler à l’oreille : ‘Anthologique !‘” (Rires)
AD – Ce n’est pas systématique, évidemment…
BM – Il a une vraie affection pour les acteurs. Sur le fait qu’il soit prolifique, par exemple, il dit : “Plus les gens vous aiment, plus vous avez envie de créer”.
AD – C’est vrai qu’on se sent très regardé. Il rit à la fin des prises… Il a un vrai plaisir.
BM – Il jubile. Amour ou amitié, je ne sais pas, mais ses sentiments sont extrêmement motivants, pour nous, acteurs. Je crois que la réalité l’emmerde. Il sublime les choses.
AD – Il est très excité lui-même par ce qu’il fait. Sa façon de tourner reste très artisanale. Il ne s’est pas tellement éloigné de la façon de faire des films à ses débuts. Il crée une atmosphère très intimiste, très simple, avec un plateau très réduit, presque comme un film de copains. Il a aujourd’hui plus de moyens, il tourne avec des acteurs confirmés, mais il n’a pas changé, fondamentalement.
BM – Il ne nous fait pas ressentir son exigence. Il instaure une ambiance de jeu pur. Je crois que je suis son meilleur attaché de presse (rires). J’ai envie de dire à tous les acteurs : “Allez-y !”
On espère vous voir bientôt dans d’autres comédies, Benoît.
BM – J’aime les grandes tragédies, mais je trouve qu’une grande comédie, que faire rire c’est toujours au-dessus, c’est le grand art.
Ce qui est intéressant, dans Incroyable mais vrai, c’est que votre personnage, Benoît, est à la fois drôle et antipathique. C’est quand même un sacré beauf !
BM – Il est aussi très attachant !
AD – Benoît a beaucoup d’amour pour son personnage, attention ! Il parle vraiment de Gérard comme d’un ami très cher !
BM – Je crois que lorsqu’on va au bout d’un personnage, on ne peut pas le détester. Regardez la fin de cet homme : on ne peut se dire “Il n’a eu que ce qu’il mérite !”.
AD – Oui, c’est vrai, Dupieux a une tendresse pour le personnage, malgré tout. Je crois aussi que dans ce film et pour la première fois chez Dupieux, il y a un véritable processus d’identification qui se fait entre les spectateurs et les personnages, parce qu’on est tous porteurs de leurs névroses : narcissisme, course à la jeunesse, peur de la mort, et solitude profonde. Ils ont beau être quatre, ils sont seuls. Moi, je me vois en chacun d’eux.
Vous présentiez tous les deux un film à Cannes cette année, c’était sympa ?
AD – Je ne suis absolument pas blasée de Cannes. C’est toujours un pèlerinage pour moi, de retourner dans cette salle où j’avais découvert enfant Le Temps du loup. Le public était très partagé par le film. Comme Chéreau jouait dans le film et qu’il était membre du jury, il avait été montré hors compétition.
BM – (A Anaïs) Tu sais que dans La Pianiste, Haneke avait prévu un plan où on voyait mon personnage débander, pour montrer son humiliation, alors que tout était suggéré dans le film. Et il disait : [sur un ton grandiloquent] « Même Chéreau ne l’a jamais fait !« . Et on l’avait tourné. Mais finalement, il ne l’a pas monté.
AD – C’était trop.
Oui, en fait ça suffit comme ça…
AD (éclatant de rire) – “ça suffit comme ça” ! (Jouant) « Non mais Michael, ça suffit !«
Propos recueillis par Jean-Baptiste Morain
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