A travers un groupe de survivants de la Shoah, Amos Gitai interroge l’origine et le destin d’Israël. Ecrivain et journaliste, Marc Weitzmann a collaboré au scénario. TÉMOIGNAGE > Lors de son arrivée au pouvoir il y a un an et demi, Ariel Sharon déclarait à propos de l’Intifada actuelle : “La guerre de 1948 n’est […]
A travers un groupe de survivants de la Shoah, Amos Gitai interroge l’origine et le destin d’Israël. Ecrivain et journaliste, Marc Weitzmann a collaboré au scénario.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
TÉMOIGNAGE > Lors de son arrivée au pouvoir il y a un an et demi, Ariel Sharon déclarait à propos de l’Intifada actuelle : « La guerre de 1948 n’est pas finie. » A la même période, Amos Gitai avait en projet un film, sur cette guerre de 1948, plus précisément sur la bataille de Latrun peu connue en France, unique défaite israélienne où combattirent côte à côte vétérans sionistes du Palmach aguerris et rescapés européens de la Shoah peu entraînés, parlant à peine, voire pas du tout, l’hébreu. Le débat teinté de culpabilité allait hanter l’historiographie israélienne sur la nécessité de faire combattre des civils juste rescapés, ou bien sur la responsabilité de ces mêmes civils, déjà méprisés par la propagande, dans la défaite.
La guerre, le cinéma et l’architecture, une formation sur laquelle Gitai ne cesse de revenir : art de l’épure. Alors que l’actualité rattrapait le projet du film, dans le laboratoire d’Amos Gitai, Latrun devenait Kedma, gagnait en densité, en sobriété, en abstraction, pour aboutir au film-poème d’aujourd’hui, où le matériau est transcendé, la balance constamment tenue entre narration et dépouillement, actualité et poésie, lyrisme et âpreté.
Kedma s’ouvre sur un bateau de réfugiés en route vers ce qui est encore la Palestine et se clôt sur un convoi de camions, roulant vers ce qui n’est pas encore Israël. Le film prend les personnages après une catastrophe (la Shoah) et juste avant le réel (l’Etat), après l’absurde et avant l’excès de signification, le temps d’un espoir et de sa chute. Entre le débarquement et la fuite devant les Anglais, entre la découverte des armes et la guerre contre d’autres réfugiés (arabes, ceux-là), Gitai pose la tragédie dans toutes ses composantes, via une série de confrontations individuelles survivants contre Palmach, religieux contre marxistes, Juifs contre Arabes.
Kedma est tourné en cinq langues, autant de vérités encore présentes qui s’affrontent. De ce point de vue, la double fin est bouleversante. Ces deux textes sans merci, respectivement écrits par le poète palestinien Tawfik Zayad en 1948 et par l’écrivain israélien Haïm Azal en 1946, sont implacables de non-manichéisme. A la prophétie du paysan palestinien « Ici nous resterons, malgré vous, comme un mur, nous laverons les plats dans les bars » répond l’extraordinaire monologue du Juif réfugié, découvrant la violence à laquelle il est contraint : « Nous n’avons pas d’histoire, notre histoire, c’est les goyim qui l’ont faite pour nous… » Quel plus tragique constat ? Gitai prend au mot Sharon. La guerre de 1948 est inachevée, oui, mais non du fait des Palestiniens. La sortie de la tragédie, promise par la fondation de l’Etat, a échoué.
Enfin, une image tirée d’un film précédent d’Amos Gitai, L’Arène du meurtre, consacré à l’assassinat de Yitzhak Rabin en 1993 : le cinéaste, filmé de dos, la nuit, dans la lumière des phares, au volant de sa voiture en direction de Gaza, mis en route, en quelque sorte, par l’assassinat, et s’interrogeant sur le genre de cinéma qu’il cherche à faire. Un cinéma moins mis en scène que mis en situation. Un forme d’art physique dont chacun des éléments scénariste, acteurs, metteur en scène est poussé comme à l’incandescence, et dont le résultat, le film, serait le compte rendu alchimique, la métamorphose de l’expérience. Un cinéma de guerre, mais aussi un art guerrier, au sens où l’entendrait certainement moins Sharon que Kafka. Si les scènes de guerre de ses films de Kippour à Kedma sont si justes, si fortes, c’est parce qu’on y voit mieux qu’ailleurs l’essence de son cinéma dans tout son dénuement. Ecriture intense, sans cesse modifiée ; tournage éprouvant, extrêmement concentré. Les acteurs en sortent vidés. Montage rapide où tout peut changer jusqu’à la dernière seconde, comme s’il fallait conserver, contre le matériau du film en train de se faire, une marge de man’uvre maximum.
{"type":"Banniere-Basse"}