Aux Oscars, elle pourrait remporter jusqu’à cinq statuettes. On vous en dit plus sur cette comédie noire inspirée d’un roman de Percival Everett. Une belle surprise à voir sur Prime Video.
Auréolé d’une réputation flatteuse, American Fiction est le film surprise que personne n’attendait aux Oscars, se glissant habillement dans les principales catégories depuis son prix du public au festival de Toronto (où l’ont notamment précédé, ces dernières années, The Fabelmans, Nomadland, Green Book, Three Billboard, La La Land…). D’où l’incompréhension à le voir sortir en France directement sur Amazon Prime, et de surcroît en catimini. Un gâchis en bonne et due forme, et la plus parfaite illustration de l’incapacité des plateformes à traiter correctement leurs auteurs, a fortiori un débutant.
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À dire vrai, un débutant, Cord Jefferson ne l’est pas complètement. Après avoir fait ses premières armes dans le journalisme (Gawker), ce jeune quadragénaire s’est formé pendant dix ans à la télévision, dans certaines des meilleures “writer’s rooms” que l’industrie a à offrir : The Good Place, Master of None et Watchmen (ce qui lui a valu un Emmy Award pour le fameux sixième épisode, centré sur le massacre de Tulsa). La découverte d’un roman plus ou moins autofictionnel de Percival Everett, Erasure, écrit en 2001 mais parfaitement contemporain, l’a convaincu de s’atteler à son adaptation et de le réaliser.
Piège identitaire
American Fiction met en scène un écrivain noir (Jeffrey Wright, dans un de ses meilleurs rôles), élitiste et quelque peu atrabilaire, frustré que ses romans mythologiques ne lui valent qu’un succès d’estime et pressé par son agent d’écrire quelque chose de plus “authentique” (autrement dit : noir). Surnommé Monk (comme Thelonious), il ne supporte plus d’être ramené à sa couleur de peau et décide, dans un ouvrage anonyme avant tout conçu comme un canular, de parodier tout ce qu’on attend d’un roman afro-américain, avec ses hommes violents, son parler ghetto, son naturalisme crapoteux… Et c’est bien sûr un succès, son plus grand succès, que tous les Blanc·hes s’arrachent et qu’Hollywood rêve d’adapter.
Cord Jefferson, lui-même Afro-américain, dit en interview s’être reconnu, en tant que scénariste, dans le piège identitaire décrit par Percival Everett : dénoncer une assignation, c’est prendre le risque d’y être réduit, d’en être prisonnier… Comment dès lors en sortir ? Le cinéaste tire de ce paradoxe une satire brillante, aux couches multiples, irréductible à un message — et certes, s’il fallait concéder quelque chose, un peu roublarde et trop amoureuse d’elle-même par endroits.
Meta fiction
Son Monk est un personnage complexe, bourré de contradictions et d’hésitations, de même que chacun des personnages secondaires qui gravitent autour de lui (à commencer par Sterling K. Brown, ici en frère ennemi, aux antipodes de son rôle dans This is Us). Mais surtout, au-delà d’une féroce comédie noire, American Fiction est un drame finalement ciselé sur les héritages familiaux et les difficultés à s’en dépêtrer, sur toutes ces petites coupures qui cicatrisent mal et finissent par noircir le cœur.
Le tout ausculté à la loupe de la meta fiction (une fiction sur la fabrication d’une fiction), sans doute le meilleur outil aujourd’hui, pour se réapproprier son récit.
American Fiction de Cord Jefferson avec Jeffrey Wright, Tracee Ellis Ross, Issa Rae, and Sterling K. Brown.
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