Rencontré à Cannes il y a quelques mois, Mathieu Amalric dissèque pour nous le film de Nicolas Klotz, son personnage, sa vision du film, et évoque ses projets de réalisation.
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Rencontre avec le projet
« Nicolas [Klotz] a mis très longtemps à trouver de l’argent pour faire ce film. Sans s’en rendre compte, on s’est vus régulièrement lui et moi pendant trois ou quatre ans. Parce que lui aime beaucoup voir les gens. Pas pour faire des essais, juste boire un coup, parler avec eux, les observer. On a très vite parlé de choses assez intimes. Et du personnage. Pas de son travail, son existence diurne, mais de sa vie de nuit, qui n’est pas dans le roman de François Emmanuel. Elisabeth [Perceval, scénariste du film] a totalement imaginé cet aspect de Simon, cette espèce de soupape qui a à voir avec la nuit. Je sais que le film pour moi est parti de ça, l’idée que l’on est multiples, que l’on a une vie de jour et une vie de nuit. J’étais un peu dans une période où cela pouvait avoir des résonances pour moi. »
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DRH
« Il y a quelque chose déjà dans ces initiales, ces mots écrans : « Directeur des Ressources Humaines ». C’est déjà un mot qui donne l’impression de cacher des choses plus tordues. Je me souviens qu’avant le film, j’avais rencontré François Emmanuel, l’auteur du roman, et qu’en parlant de ce métier, il avait expliqué qu’à ses yeux il avait à voir tout à la fois avec la confession et la délation. Il y a des mots comme ceux-là qui m’ont aidé à penser le personnage. Après, on cherche notamment à travers les costumes : la cravate ferme par exemple. Pour moi il est important de faire dans le film ces gestes que je n’ai pas l’habitude de faire tous les jours. Le métier que je fais me permet d’échapper à ce que vivent des millions de gens obligés de se « déguiser » tous les matins, de fermer ce dernier bouton, de faire ce geste de pendu en serrant le noeud de la cravate, de se raser tous les jours de très près… On a travaillé sur des choses de cet ordre. »
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Ne pas trahir ses pensées
« Je me suis rendu compte seulement sur le tournage que Simon était un personnage qui parlait très peu. C’est un film construit essentiellement autour du champ-contrechamp – du moins dans la partie diurne. J’ai réalisé que, de par sa fonction, les gens venaient lui parler et que lui devait arriver à ne pas trahir ses pensées. Cela, c’était une situation assez amusante. Du coup je me suis aperçu après quelques jours qu’il serait sans doute plus intéressant pour moi d’apprendre la voix intérieure au lieu de la lire en studio après le tournage. J’ai donc appris ses pensées, ce qu’il avait en tête lorsque les autres personnages lui parlaient et qu’il lui fallait absolument ne pas dévoiler. Si son sort bascule à un moment où il se fait d’une phrase aiguisée virer par Kalfon, c’est uniquement parce qu’il a pour une fois exprimé sa pensée. Il se lève de sa chaise, il se rassoit et il est mort, c’est fini. Ça aussi c’était assez amusant à faire. »
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La violence déguisée des mots
« J’ai lu le scénario du film pour la première fois en 2002. A l’époque, il y avait quelque chose de trop appuyé dans le discours. Le scénario a évolué, et même sur le tournage, nous avons travaillé à ce que La Question humaine ne produise pas une démonstration mais un trouble, une douce contamination. Et puis il y a une espèce de déflagration qui arrive avec la surprise de Simon quand il reçoit des lettres anonymes, des rapports nazis, tout un tas de choses inquiétantes où il retrouve ces mots qui sont les siens, réellement employés dans le monde du travail aujourd’hui, et censés adoucir la violence de sa fonction (sélectionner, éliminer, positiver…). C’est cela qui court-circuite littéralement son cerveau. Cette question de mots qui atténuent l’expression de la réalité, nous y sommes confrontés chaque jour de notre vie. Il n’y a qu’à voir la campagne présidentielle qui vient de se dérouler et comme les hommes politiques savent extrêmement bien travailler avec cela. Quelqu’un comme Sarkozy par exemple est très fort pour justement n’avoir aucun complexe là-dessus. Son idée de ministère intitulé « Immigration et identité nationale », ce n’est pas autre chose. Et ils ont rajouté « intégration » alors que l’on sait très bien que cela veut dire l’inverse. Je crois que La Question Humaine est vraiment un film sur le langage. Il montre comment les mots nous permettent de supporter une violence extrême des rapports humains. »
Lonsdale et Kalfon, le ballon d’hélium et la lame de rasoir
« On demande à mon personnage de bien faire son boulot, et c’est ce qu’il fait, par ambition. J’adore cette scène où Lonsdale lui dit : « Vous êtes un bon élément, vos rapports étaient toujours excellents, très zélés. Grâce à vous, il n’y a plus un alcoolique dans l’entreprise ». Vous disiez de Michael Lonsdale et Jean-Pierre Kalfon tout à l’heure qu’ils portent sur eux le souvenir d’un certain cinéma français, mais moi ce qui m’amuse chez Lonsdale, c’est qu’il a aussi joué chez James Bond et que nous nous sommes retrouvés sur le tournage de Munich de Spielberg trois mois avant de tourner le Klotz, soit dans une économie de production radicalement à l’inverse de celui de ce film. Et puis Lonsdale dégage cette chose très paradoxale qui est à la fois un sentiment de masse contredit par la volatilité de sa voix. C’est quelqu’un qui a l’air monté comme un ballon d’hélium. Quand vous jouez face à lui, vous avez l’impression d’être une pierre, statique, fixé à un socle comme une statue. Avec Lonsdale, on ne sait absolument pas ce qui va se passer. Le rôle de Kalfon est beaucoup plus précis, plus construit. Il n’est dans ce film plus du tout le même type d’acteur punk et délirant que l’on avait pu voir dans Les Idoles de Marc’O ou les films de Rivette. Là, j’ai vu quelqu’un d’extrêmement méthodique. Je trouve très juste ce qu’en disait Nicolas : « Ce type est une lame de rasoir si tranchante que lorsqu’il te coupe, tu ne saignes qu’une heure après ». Et il y a quelque chose comme ça dans le film. Lorsqu’il a cette phrase à mon personnage : « Vous êtes un subalterne certes obéissant mais sans imagination », c’est fini pour Simon. Et il y avait un plaisir réel chez Kalfon à jouer l’inverse de sa personnalité – parce que, sorti de son personnage, il a tout d’une rock-star, une rock-star qui revient d’assez loin. »
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Projets
« J’ai été happé par ma vie d’acteur à un point que je n’aurais pas pu imaginer. Je viens de finir de tourner avec Arnaud Desplechin et je dois tourner avec Asia Argento dans le nouveau film de Bertrand Bonello jusque début août (Ndlr : l’entretien a été réalisé à Cannes en mai dernier). Après cela, je me suis promis que je ne ferais plus l’acteur tant que je n’aurais pas réalisé mon film. Mon scénario est écrit et j’espère tourner en décembre ou en janvier prochain. En gros, je suis parti d’un texte de Collette que j’aime beaucoup, qui s’appelle L’Envers du music-hall. Ce sont des notes de tournée de Collette qui datent du temps où elle faisait des spectacles déshabillés. Et puis je suis tombé sur ces filles américaines de ce que l’on appelle le New Burlesque, une chose qui n’existe pas en Europe, ces spectacles montés par des femmes qui essaient en quelque sorte de lutter contre le formatage des corps. C’est assez politique, assez stand-up, ce n’est pas du strip-tease, elles ne se mettent pas toute nues, mais il y a des femmes très grosses ou très maigres qui se déshabillent. Dans les années 30, les spectacles déshabillés étaient des spectacles comiques. Mon film tourne autour de ça, et de la figure de Paulo Branco, qui est un peu mon père en cinéma et pour lequel j’ai eu très peur lorsque Humbert Balsan s’est suicidé. J’ai craint qu’il disparaisse lui aussi et je l’ai associé à mon idée du film. »
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