Pour la première fois sur grand écran, Allemagne neuf zéro est la rêverie d’un promeneur solitaire mais inspiré. Qu’est-ce que l’Allemagne ? Un pays ? Deux pays ? Une nation ? « Non », semble dire Godard tout au long de ce film inspiré de bout en bout, l’Allemagne est d’abord un corpus. « Recueil de pièces, de […]
Pour la première fois sur grand écran, Allemagne neuf zéro est la rêverie d’un promeneur solitaire mais inspiré.
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Qu’est-ce que l’Allemagne ? Un pays ? Deux pays ? Une nation ? « Non », semble dire Godard tout au long de ce film inspiré de bout en bout, l’Allemagne est d’abord un corpus. « Recueil de pièces, de documents concernant une même discipline », nous dit Le Petit Robert qui en connaît un rayon. Et Godard d’avancer ses pièces et ses documents : une phrase de Freud, quelques notes de Bach, une croix gammée, des images de Lang ou Fassbinder, un titre de Hegel, un personnage de Goethe, un souvenir de Giraudoux… Cinéaste très moderne à la culture très classique, Godard se promène à travers ses paysages intérieurs, ceux d’une Allemagne devenue imaginaire à force d’être intime. Et Allemagne neuf zéro (un titre qui doit autant à Harald Schumacher qu’à Roberto Rossellini) devient une somme d’évocations fulgurantes, de digressions soudaines et de réminiscences brouillées qui affleurent à la surface de la mémoire. Comme un voyageur qui se laisse bercer par le mouvement régulier du train, Godard a commencé par fermer les yeux et a laissé venir la rêverie. C’est seulement après qu’il est entré dans le décor de ses années d’apprentissage pour tenter de saisir le décalage fécond entre les lieux et ses songes. Tout était en train de changer, l’Est redevenait l’Ouest. Et pourtant, rien n’avait bougé. Il suffisait de gratter un peu pour que les vieilles passions resurgissent, aussi vives et douloureuses qu’au premier jour. Sa valise à la main, le dernier espion, Mister Caution le bien nommé, celui qui a été oublié par l’Histoire après l’avoir beaucoup servie, se met pesamment en marche, à la recherche d’un Occident privé d’Orient. Sur sa route, il va croiser des spectres et des revenants, des vestiges et des ruines. Partout, on a oublié, pour solde de tout compte. Dans ce monde frappé d’amnésie, on brade à tout-va et les noms autrefois glorieux (Karl Marx, Rosa Luxemburg, Clara Zeitkin) cessent d’être des rues pour devenir d’impalpables reproches. Les brigands que racontait Schiller reviennent sur le devant de la scène, plus déterminés que jamais à retourner aux affaires. Mais si la promenade est forcément un peu triste, Godard ne cède pas au désespoir. Jamais plus à l’aise que dans un univers de signes et d’idées (le cinéma restant le plus riche de ces pays sans frontières), il fait se heurter des blocs saturés de sens. Et c’est leur collision qui crée l’énergie nécessaire à la poursuite du voyage. Ici, la culture est prise comme un vecteur de pensée au lieu d’être un musée que l’on arpente en s’ennuyant. Et quand Godard filme une rose blanche après avoir évoqué Hans et Sophie Scholl, résistants au nazisme décapités en 43, la lumineuse simplicité de l’évocation emporte toute trace de mélancolie. Comme dans ses Histoire(s) du cinéma, auxquelles le film fait beaucoup penser, Godard ne cesse ici de peupler sa solitude. Jusqu’à nous la faire enfin partager.
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