Redford naufragé en mer dans un survival radical – pas de dialogues – et habile.
Tout est perdu” (titre). Telle est bien la teneur du message qui ouvre le film et par lequel l’unique personnage, sans nom, incarné par Robert Redford, signifie sa perdition en mer. Comme Seul au monde de Robert Zemeckis, L’Odyssée de Pi d’Ang Lee et, plus récemment, Gravity d’Alfonso Cuarón, All Is Lost est l’histoire d’un naufrage (rien à voir avec la métaphore sur la vieillesse). Sa première beauté est sa manière d’aller au bout de ses partis pris sans aucune concession au romanesque – seule facilité : la musique, qui reste assez sobre et plutôt ambient.
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En dehors du message de détresse du début, qui est un flash-forward, il n’y a pas un mot de dialogue, hormis une bordée d’injures lâchées par l’homme à un moment critique. C’est particulièrement plaisant, voire surprenant, quand on se souvient que le premier film de J. C. Chandor, Margin Call, qui retraçait les origines du krach boursier de 2008, reposait essentiellement sur le dialogue. Cinéaste surprenant, donc, qui passe d’une histoire alambiquée sur les jeux de pouvoir entre traders à un film d’action pure sans interactions humaines. De l’homo sapiens à l’homo faber – dont la faculté à inventer des objets et à échafauder des solutions matérielles était la définition même de l’intelligence pour Bergson. Un survival movie de l’espèce la plus parfaite puisque All Is Lost ne déborde jamais son programme minimaliste (pas de ruse narrative comme le retour inopiné de Clooney dans Gravity). Tout le plaisir réside dans le combat permanent du personnage contre une adversité insensée.
D’une certaine manière, c’est un documentaire sur Redford incarnant un navigateur solitaire s’évertuant à survivre à un naufrage. Là aussi se trouve la réussite de Chandor : montrer comment ce septuagénaire, faisant fi de tout glamour, affronte la catastrophe avec dignité et acharnement ; voir sa permanente ingéniosité, sa capacité constante à imaginer des solutions (comme recueillir de l’eau potable en faisant condenser et évaporer l’eau de mer), est jouissif.
Ce n’est qu’un film de fiction, certes, réalisé avec tout le luxe de moyens techniques possibles (y compris des effets numériques invisibles, un tournage sur fond vert), mais la vaillance de Redford n’est pas un effet spécial. Le vieil homme dégage une grâce et une énergie concrètes et réelles qui forcent l’admiration. Redford n’est plus un acteur un peu de gauche, politiquement correct. C’est un artisan courageux, prêt à assumer toute la responsabilité et le poids d’un film en s’y engageant physiquement, sans la béquille du dialogue ou de partenaires à l’écran. Mégalo si l’on veut, mais mégalo dans l’abnégation. Redford partage le sort de son personnage.
C’est vraiment un acteur solitaire prêt à en découdre avec le cinéma et montrer que, même dans un climat raréfié, il peut convaincre, composer un personnage fort et crédible et tenir de bout en bout une œuvre à suspense métaphysique, dans laquelle il incarne et synthétise le principe actif de l’humanité. Le cinéma américain n’arrête pas de surprendre.
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