La jeune cinéaste Hadas Ben Aroya porte son regarde aiguisé sur les pratiques intimes de la jeunesse israélienne, brouillées et complexifiées par les nouvelles technologies.
Possible marque d’un·e grande cinéaste : sa propension à toujours faire les mêmes films, chacun se modelant comme une variation de son prédécesseur. Portrait croisé de l’errance d’une jeunesse, All Eyes off Me est ainsi une variation en même temps qu’une prolongation du premier long métrage (People That Are Not Me, 2016) de la jeune cinéaste israélienne Hadas Ben Aroya.
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Scindé en trois chapitres à la fois liés et autonomes, le film est lui-même subdivisé en longs plans-séquences. Ces blocs ébouriffants de vérité, chacun impressionnant dans sa manière d’encapsuler le réel, sculptent le temps et sondent les âmes silencieuses avec une sobriété remarquable, exempte de toute démarche performative.
Moins fougueux que le précédent ouvrage, l’exercice perd en humour mais gagne en acuité, avec un regard perçant bien que toujours tendre sur les nouvelles pratiques des millennials. Des thématiques chères à Hadas Ben Aroya, que l’on découvre désormais traversée par une ambition sociologique renforcée.
Un état des lieux puissant
L’Israélienne opère, ici, un état des lieux que peu de cinéastes ont su produire aussi puissamment sur la façon dont les technologies brouillent et complexifient nos rapports aux autres : les réseaux sociaux qui séparent les corps et participent à une mise en scène fantasmée des vies, ou la rémanence d’un être quitté à travers de multiples avatars, avec lesquels se prolonge une forme d’intimité.
Après avoir filmé l’ubérisation du sexe dans son précédent long, la réalisatrice scrute l’évolution des pratiques elles-mêmes, stimulée par une quête de sensations toujours plus fortes. Le cœur boxé par la cocaïne, la chair brûlante de désir et de douleur, Avishag et Max échangent, dans une longue scène, leurs fantasmes de sexe brutal.
Du bruit pour masquer les idées noires jusqu’à l’acceptation du silence et des doutes
Bien que le consentement ait été explicité noir sur blanc entre les deux personnages, les lignes se troublent lorsque, après l’acte, le visage d’Avishag révèle un coquard tandis que Max, mutique, semble remué. À cette impasse, le film répond de la plus belle des parades : aimer, c’est accepter de se montrer vulnérable aux yeux de l’autre.
Des percussions techno qui claquent dans une soirée jusqu’au moment suspendu offert par deux corps allongés côte à côte sur le sol, voilà le chemin qu’aura parcouru, d’une extrémité à l’autre, All Eyes off Me. Du bruit pour masquer les idées noires jusqu’à l’acceptation du silence et des doutes qu’il entraîne. Alors peut-être qu’enfin, dans cet ultime acte de vulnérabilité, pourra surgir le visage de l’amour moderne.
All Eyes off Me de Hadas Ben Aroya, avec Elisheva Weil, Leib Lev Lenin, Yoav Hait (Isr., 2021, 1 h 30). En salle le 8 juin.
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