Sur une planète Terre devenue le dépotoir d’une élite juchée dans les cieux, une jeune cyborg amnésique appréhende le mystère de son existence. Une épopée SF à la fois trépidante et délicate.
Sortis à un mois d’intervalle « Alita : Battle Angel » de Robert Rodriguez et » Mortal Engines » de Christian Rivers sont des films qui semblent nés d’une même portée. Blockbuster de SF prenant le risque de proposer des univers singuliers, ils ont été délaissés par leur initiateur (James Cameron pour le premier et Peter Jackson le second) pour arriver entre les mains d’exécutants qui en ont fait un travail sérieux et appliqué, dans l’ombre de leur maître.
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Les deux films partagent un monde postapocalytique où le recyclage technologique est devenu la meilleure arme d’oppression du plus fort sur le plus faible. Des mondes organisés verticalement, du plus riche en haut, au plus pauvre en bas. Des mondes renversés par une héroïne (incarnée par une actrice méconnue du grand public) dont le visage est travesti par un effet numérique (de grands yeux dans Alita, une cicatrice dans Mortal Engines).
Comme sa sœur de Mortal Engines qui est expulsée hors de sa cité et laissée pour morte, Alita tombe du ciel. Son corps de machine détruit, son cerveau humain encore intact, elle est jetée aux ordures par les puissants, ceux qui vivent là-haut, sur Zalem, la dernière des grandes cités suspendues, la seule à avoir survécu à la Chute, cet événement qui, au XXIIIe siècle, a accouché d’un monde dévasté. De Zalem on ne verra rien (c’est le puissant hors-champ du film), ou plutôt on ne se souvient de rien, comme Alita. Alita atterrit dans la décharge d’Iron City, une ville en forme de gigantesque bas-fond, de camp de migrants permanent. Elle reprend conscience lorsqu’elle se découvre un père, le docteur Dyson Ido (Christoph Waltz) qui la recueille et lui donne le corps de cyborg de sa fille décédée.
A cette figure de père fictionnel d’adoption s’ajoutent trois autres figures paternelles qui chaperonnent le film. Le grand-père d’Alita, c’est Yukito Kishiro, l’auteur du manga Gunnm dont est tiré le film. Son véritable père est James Cameron. Juste après Titanic (1997), c’est lui qui décide de se lancer dans l’adaptation de Gunnm. Le scénario était prêt mais Avatar (2009), son bébé d’alors, se révéla trop gourmand en temps pour lui permettre de s’occuper d’Alita. Abandonné, Alita a finalement été récupéré par tonton Rodriguez qui a accepté de faire le film en désirant qu’il ressemble le plus possible à ce qu’en aurait fait Cameron.
Alita: Battle Angel ressemble de fait à un film de James Cameron plutôt qu’à un film de l’auteur de Sin City (2005). De ce dernier, il ne subsiste qu’une jouissance à chorégraphier de ludiques scènes de combat où les membres – la plupart du temps cybernétiques et non humains – sont découpés à tour de bras. Le reste des thématiques et l’esthétique de grande fresque épique du film sont purement cameroniennes. Elles étaient déjà à l’œuvre dans Avatar ; l’hybridation 3D entre prises de vues réelles et numériques, le transhumanisme comme solution aux contingences humaines, un visiteur prenant la défense du monde dominé contre le monde dominant d’où il vient, et l’amour comme force de dépassement des diffèrences et comme ressort tragique (le final d’Alita cite d’ailleurs explicitement la terrible scène où DiCaprio disparaît dans la pénombre glacée de l’Atlantique Nord en la projetant dans le ciel).
Mais où se situe la conquête ? Car les films de Cameron sont toujours le lieu d’une conquête, technique et narrative. Dans Avatar, le récit d’une colonisation résonnait avec l’exploration de zones jamais atteintes au cinéma, tant en termes de box-office que de techniques de prises de vues. Alita se déploie sur un terrain plus délicat, plus sensible.
En revenant à la vie, la première chose que fait Alita est de croquer dans une orange sans l’éplucher. Le fait qu’elle ait senti l’amertume de cette peau et la douceur sucrée de ce qu’elle contient réjouit Ido qui en déduit que ses capteurs sensoriels fonctionnent à merveille. A l’image de cette séquence, Alita est un film à fleur de peau, qui explore le lien et les oppositions entre une enveloppe agressive et son contenant plus doux. Sa conquête est celle d’un bout d’épiderme. D’un point de vue technique, Alita réalise la prouesse de mélanger à chaque image un masque hybride fait de grands yeux numériques posés sur un visage de chair bien réel (celui de l’actrice Rosa Salazar, vue dans les dystopies teen Divergente 2 et Le Labyrinthe). Son récit est tendu par ce même souci épidermique. Il s’agit pour Alita d’être bien dans sa peau, de trouver la bonne enveloppe de synthèse, celle qui sera en accord avec l’image qu’elle se fait d’elle-même, celle qui lui permettra d’exprimer tant sa douceur relationnelle que ses aptitudes guerrières. La scène où elle investit pour la première fois un corps de combat qu’elle a connu dans une vie antèrieure est à ce titre sublime. On y voit sa peau se reconfigurer, sa silhouette se redessiner sous l’action de sa pensée. L’image de synthèse n’a jamais approché la sensualité de la chair d’aussi près.
Alita: Battle Angel de Robert Rodriguez (E.-U., 2019, 2h02)
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