Bridé par les règles d’Hollywood, Jean-Pierre Jeunet réussit enfin à faire du cinéma. De l’avantage des contraintes.
Jusqu’à présent, les films de Caro et Jeunet, laborieuses tentatives de fantastique hexagonal teintées de réalisme poétique frelaté, ne nous avaient guère séduits. Ce mélange d’archaïsme bricolé et de haute technologie n’échappait pas à la boursouflure et, sans souci de camoufler des scénarios mal construits, se réduisait à d’agaçantes compilations de sketches. On pensait à Duvivier pour le pittoresque, L’Herbier pour le goût du décor, et au bazar esthétique de Ridley Scott et Terry Gilliam. Au-delà du procès facile intenté à la fantasy dans notre pays, le dernier film de Jeunet sans son compère Caro nous amène à modifier notre jugement et à réévaluer un cinéaste un peu trop vite associé à des tâcherons comme Luc Besson ou Jan Kounen.
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Alien la résurrection marque l’entrée réussie dans le système des studios hollywoodiens d’un réalisateur français, engagé pour une commande des plus commerciales (le quatrième volet d’un très célèbre space opera). Jeunet réduit modestement ses obsessions de créateur, ce qui permet à son nouveau film d’accéder à une sorte de plénitude esthétique où son talent et celui de ses collaborateurs (dont le brillant chef-opérateur Darius Khondji) paraissent moins affectés par les limites d’un univers personnel trop restreint, servis par un formidable duo d’actrices (Sigourney Weaver et Winona Ryder). Pour la première fois également, les idées graphiques du cinéaste (dont une impressionnante scène aquatique) n’existent pas au détriment de l’histoire, qui mêle l’attendu (la décimation de l’équipage d’un vaisseau spatial par des monstres gluants) à de nouvelles orientations fictionnelles.
Deux cents ans après sa mort, Ripley est ressuscitée grâce au clonage par des scientifiques avides de récupérer l’alien qu’elle avait dans le corps au moment de son suicide. La nouvelle Ripley ne tarde pas à découvrir qu’elle a subi une mutation génétique et a hérité du sang acide, de la force et de l’agilité de ses ennemis extraterrestres. Le film clôt ainsi provisoirement les métamorphoses successives du personnage de Ripley (icône érotique dans le film de Ridley Scott, guerrière dans la suite de James Cameron, religieuse dans Alien 3) et débouche sur une nouvelle et terrifiante génération de prédateurs. Ce sont les plus beaux moments du film, qui fantasme sur le devenir incertain des corps, entre la monstruosité, l’humain et la machine : Jeunet, en filmant une superbe créature cinématographique, parvient à nous émouvoir grâce aux artifices des trucages (cela ne nous était pas arrivé depuis La Mouche de Cronenberg).
Le film ravira les amateurs de SF, décevra les fans purs et durs de Delicatessen, et déplaira sans doute aux contempteurs acharnés des duettistes. « I am a stranger here myself », déclare Ripley en contemplant la Terre (les Etats-Unis, pour être plus exact). Nous ne pensons pas alors seulement à Johnny Guitar, mais à un metteur en scène en exil qui après avoir longtemps oeuvré dans l’audiovisuel fait enfin du cinéma.
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