Portrait de l’actrice, même pas trentenaire, qui a déjà tout d’une grande.
Son nom est sur toutes les lèvres. Alicia Vikander n’a pas trente ans — nous l’avions d’ailleurs inclue, à l’occasion de notre numéro spécial anniversaire il y a quelques mois, dans la liste des artistes de moins de trente ans à suivre —, et seulement une douzaine de rôles à son actif, mais on lui prédit déjà une grande carrière à Hollywood. Si « on » ne désignait qu’une poignée d’agents avides et de magazines de mode lui ayant fait l’honneur d’une couverture, ce serait évidemment trop facile. Mais il suffit de jeter un oeil sur sa filmographie, passée, présente et à venir, pour comprendre que sa stratégie de conquête, déjà bien entamée, est parfaitement huilée. 2015 en particulier fut son année, avec pas moins de cinq films (dont les excellents Ex Machina et U.N.C.L.E., des agents très spéciaux), ainsi qu’une nomination à l’Oscar du meilleur second rôle pour The Danish Girl (un pensum dans lequel elle joue — bien — l’épouse du premier transsexuel danois en 1930)
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« Oui, ce fut une année complètement folle, très intense mais aussi épuisante, affirme-t-elle avec une pointe de lassitude qui tient manifestement au marathon promotionnel auquel elle participe depuis douze mois, et qui se perpétue aujourd’hui à Paris avec la sortie de Jason Bourne, son plus gros film à ce jour. « Mais ce fut pour ainsi dire une coïncidence : les tournages de ces films se sont échelonnés sur trois ans, et ils sont tous sortis avec peu d’écart ». Et d’ajouter sans que l’on ait besoin de lui souffler, « un peu comme Jessica Chastain en 2011, lorsque personne ne la connaissait et que soudain on la voyait partout ». Elle aurait pu tout aussi bien citer Jennifer Lawrence en 2012, Rooney Mara en 2013, ou Shailene Woodly en 2014 : régulière et éternelle chasse à la chair fraiche de la plus grande entreprise de vampirisme du monde, à laquelle la jeune comédienne semble se plier de bonne grâce, même si une petite pique à notre encontre (de bonne guerre, avec le sourire et sans agressivité aucune) prouve qu’elle n’est pas dupe. Interrogée sur cette fatigue promotionnelle, elle explique en effet qu’elle a dû « s’habituer au fait de répondre dix fois par jours à des questions qui sont souvent les mêmes — comme celle-ci par exemple ».
Dès les premières minutes de l’entretien, Alicia Vikander nous charme par une forme de sérieux qui parvient à ne pas être scolaire. On la sent très concentrée, ainsi que très concernée, mais sans que cela n’abolisse sa spontanéité. Elle répète par exemple qu’elle se sent « chanceuse d’être où elle est », affirmation certes assez banale pour une jeune actrice déjà rouée au media training, mais elle le dit précisément sans que cela ait l’air d’en être. Le parcours de la comédienne, qui vit aujourd’hui à Londres avec son amoureux Michael Fassbender (aux côtés duquel elle sera à l’automne dans le prochain film de Derek Cianfrance, The Light between oceans) commence en Suède, en 1988. C’est d’abord avec la danse (classique) et la musique (violon), à Göteborg puis à Stockholm, que, petite, elle occupe son temps après les cours, avant de réaliser, vers la fin de l’adolescence, qu’elle « n’avait pas l’abnégation nécessaires pour réussir dans ces domaines ».
Le cinéma ne viendra pas complètement par hasard certes — sa mère étant comédienne de théâtre, elle reconnait que « la pomme n’est pas tombé loin de l’arbre » —, mais il ne résulte pas de la stricte application d’un programme, comme chez tant d’autres. Plutôt d’une suites de coups de pot et d’instinct. « En Suède, c’est difficile de s’imaginer actrice, vu la petitesse de notre industrie, justifie-t-elle. Et l’idée de jouer en anglais m’était longtemps étrangère. Sans remonter jusqu’à Ingrid Bergman, c’est Noomi Rapace, dans The Girl with a Dragon Tattoo, qui m’a ouvert les yeux sur la possibilité de faire carrière hors de nos frontières ». Elle explique par la suite comment elle envoya, sans trop y croire, une vidéo d’essai en anglais tournée à la maison, avec son iPhone, à la directrice de casting de Royal Affair, une coproduction européenne tournée en anglais dans lequel elle décrochera le rôle de la reine du Danemark dans les années 1760 — rôle qui la lancera véritablement à l’international.
Mais avant cela, c’est la rencontre avec une jeune cinéaste suédoise, Lisa Langseth, et un premier rôle dans le long-métrage de cette derrière, Pure en 2010, qui la convainc de son talent et la pousse à se professionnaliser. Correct, le film frappe surtout par l’énergie trouble de son héroïne, sauvageonne touchée par Mozart (enfin, par une vidéo Youtube du Requiem de Mozart) qui cherche soudain à s’élever socialement. Elle s’y montre parfaitement illisible, presque flippante derrière son joli minois boudeur et ses yeux en amande, doux en apparence, torves en réalité. Comme souvent (avec les acteurs intéressants du moins), la première apparition semble déterminer toutes les autres, et cette figure de jeune fille retorse, voire duplice, ne va cesser de se répéter.
Dans Ex Machina par exemple, elle est une androïde conçue par un informaticien génial, qui pense avec elle être parvenu à créer la première machine passant le test de Turing : soit une intelligence artificielle parfaitement indiscernable ; de fait elle manigancera bien au-delà des attentes de son créateur. Dans Jason Bourne, c’est cette fois elle l’informaticienne, qui maitrise comme personne les algorithmes prédictifs (« on peut prévoir à l’aide de ces outils comment agissent les gens avec un niveau de certitude hallucinant, de l’ordre de 85% », précise-t-elle) et parvient à nouveau à tromper son monde, et à se faufiler entre les mailles du filet numérique. Sachant qu’elle s’apprête à reprendre à Angelina Jolie le rôle de Lara Croft, originellement un personnage de jeu vidéo, c’est-à-dire un programme informatique relativement unidimensionnel, la machine à fantasme peut déjà s’allumer : quelle sorte de virus introduira-t-elle dans le logiciel ?
Alicia Vikander rappelle ainsi immanquablement Scarlett Johansson, qui s’amuse elle aussi depuis quelque temps à repousser la frontière entre l’humain et le bionique. On lui demande alors comment elle se sent dans le monde de l’hypersurveillance décrit dans Jason Bourne : « J’ai appris en faisant ce film où en est réellement la technologie de surveillance. Et c’est flippant. C’est plus que de la surveillance, c’est de la suggestion, comme s’il n’y avait plus de place pour le libre arbitre. Je le sais mais je suis comme tout le monde : on m’explique, je déprime, j’oublie, et deux jours après je poste une photo sur Instagram… ». Comme tout le monde, oui… Et pourtant l’on ne peut s’empêcher, en l’écoutant, d’imaginer les fils et circuits imprimés s’agitant derrière ces yeux et cette bouche parfaitement dessinés, comme sur l’affiche d’Ex Machina. « Les robots nous regarderont de la même façon que nous regardons aujourd’hui les fossiles dans les plaines d’Afrique », y entend-on de la bouche de l’inventeur. Si tel est l’avenir de « l’humanité », alors on veut bien signer.
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