La réalisatrice nous raconte les principaux choix qu’elle a opérés pour décrire, dans un film de fiction, les stratégies de survie de personnages sortis vivants d’une attaque terroriste dans un restaurant parisien.
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Revoir Paris est le quatrième long métrage d’Alice Winocour après Augustine (2012), Maryland (2015) et beau Proxima (2019) dans lequel Eva Green incarnait une spationaute tiraillée entre son investissement professionnel et la culpabilité de ne pouvoir consacrer plus de temps à sa petite fille. Revoir Paris relate les quelques mois qui suivent un attentat terroriste dans un restaurant parisien dans la vie de celles et ceux qui ont survécu à l’attaque. Aux premiers rangs desquels Virginie Efira et Benoît Magimel. Pour Les Inrockuptibles, la réalisatrice retrace la conception et la réalisation de ce film fort et émouvant.
À quel moment as-tu envisagé de faire un film autour d’une nuit d’attentats terroristes à Paris ? Longtemps après ceux de novembre 2015 ?
Alice Winocour – L’origine du film, bien sûr, c’est le choc de cette nuit du 13 novembre. Mon frère était au Bataclan, et j’étais en lien SMS avec lui pendant l’attaque. Il a survécu. L’idée de tourner un film à partir de cette nuit ne s’est pas imposée tout de suite. Cela me semblait impossible. J’ai d’abord tourné Proxima avec Eva Green, sorti en 2019. Et c’est à peu près à ce moment-là que j’ai été rattrapée par ce souvenir traumatique.
Quel a été ton cheminement pour que le film devienne finalement possible ?
J’ai fait le choix d’aller vers la fiction. Revoir Paris ne représente pas les attentats du 13 novembre. Ce sont des attaques terroristes fictionnelles. Mon frère a suivi tout le processus de gestation du film. Il pensait lui-même qu’il était impossible de reconstituer ce qu’il avait vécu. Qu’il ne fallait surtout pas le faire. Mais qu’en revanche, il était possible de trouver un espace de fiction à partir du souvenir de cette nuit. Encore une fois, j’insiste, le film ne décrit pas l’attentat du Bataclan, ni ceux des bars du XIe arrondissement. Pour moi, ce n’est pas un point de détail, cela conditionne la possibilité du film.
J’imagine néanmoins que, même s’il s’agit d’une scène de fiction et non pas d’une reconstitution, la séquence de l’attaque a nécessité une longue réflexion sur les choix de représentation et de points de vue à opérer.
Oui, bien sûr. Mon objectif était de faire éprouver au spectateur un état de choc. Le sujet du film, c’est la trace. J’ai pensé que la scène d’attentat devait être abstraite, fragmentaire. Nous l’avons construite du strict point de vue de la victime. C’est aussi une scène très peu découpée, en plans plutôt longs, pour éviter le sur-découpage combinant tous les points de vue, propre au cinéma d’action spectaculaire. On a privilégié au contraire un point de vue unique. Des assaillants, on ne voit que ce que Virginie Efira aperçoit, à savoir leurs pieds.
Quel sentiment voulais-tu faire passer dans cette scène ?
La gageure était de restituer cette sidération, de basculer en quelques secondes d’un monde de paix – Paris ville cosmopolite, des Anglais, des Japonais, la chaleur humaine qui circule dans une brasserie la nuit –, à une scène de guerre. Je voulais filmer ce changement instantané d’un monde. Pour cela, il était important de filmer en studio, de construire un décor de brasserie pour pouvoir le ravager. De toute façon, il est interdit de tirer un seul coup de feu dans Paris depuis les attentats, même pour une fiction. C’est une mesure qui protège les habitants, pour qu’ils ne pensent pas qu’une nouvelle attaque est en cours.
C’est une ville entière qui a été blessée.
Comment as-tu construit le récit et le personnage interprété par Virginie Efira ?
Je me suis sentie investie d’une énorme responsabilité, ne serait-ce que vis-à-vis de mon frère. Je ne voulais pas trahir son récit et les conversations que nous avons eues. Ni les échanges avec tous les gens que j’ai rencontrés ensuite pendant la préparation du film. Je pensais que le film devait avoir une forme un peu chorale, que ce ne soit pas l’histoire d’une seule personne, mais plutôt un puzzle de mémoire, avec sept ou huit histoires différentes. J’ai pensé aux Ailes du désir de Wim Wenders et à ces scènes où on entend les pensées des gens. Beaucoup de plans en plongée sur Paris m’ont été inspirés par Les Ailes du désir. Je voulais que quelque chose de collectif se dégage. C’est une ville entière qui a été blessée.
Comment as-tu rencontré les personnes dont les récits ont nourri le film ?
Avec mon frère, j’ai consulté de nombreux forums de survivants des attentats. Tout le monde se cherchait. Cette découverte a déclenché le désir du film. J’ai été énormément émue de voir que des gens qui ne s’étaient croisés qu’un instant voulait retrouver ceux qui avaient partagé cette expérience, qu’ils avaient besoin de savoir qui (comme eux) avait survécu.
Le film exalte la chaleur humaine, précisément ce que les terroristes ont voulu détruire en apportant la peur
Le film se situe du côté des victimes qui ont survécu, et de leurs stratégies pour s’en remettre…
L’attentat ne représente qu’un très court segment du film. Son sujet, c’est la réparation. Comment on reconstruit du lien entre les gens. Le film exalte la chaleur humaine, précisément ce que les terroristes ont voulu détruire en apportant la peur. Il exalte aussi la reconstruction collective, car elle ne peut pas être individuelle. Dans une situation de barbarie, le salut peut venir d’un signe infime qui rattache à la communauté humaine, comme cette main qui a pris la sienne et qu’elle ne peut retrouver.
Le tournage du film a-t-il coïncidé avec le procès des attentats du 13 novembre ?
Oui, le film a été tourné pendant le procès des attentats. Ce n’est pas rien. Aller à République, y poser des fleurs et des bougies, alors que le procès se tenait ailleurs à Paris, cela créait une correspondance étrange. Des gens s’arrêtaient et s’interrogeaient. La scène la plus dure à tourner pour moi, ce n’était pas l’attaque, mais celle où les agents d’entretien mettent à la poubelle les fleurs en hommage aux victimes. La vie reprend. C’est normal, mais c’est aussi d’une violence inouïe. La vie absorbe les blessures, les cicatrices, les morts. Des gens marchent à l’emplacement où il y avait des fleurs, mais les fantômes sont toujours dans la ville.
Revoir Paris d’Alice Winocour – avec Virginie Efira, Benoît Magimel, en salle le 7 septembre
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