Après trois beaux films, Téchiné livre une oeuvre artificielle et forcée. On en retiendra Binoche et Amalric, excellents.
Ça ne pouvait pas durer. Après trois beaux films inspirés (Ma saison préférée, Les Roseaux sauvages et Les Voleurs), André Téchiné se retrouve dans un creux artistique avec son tout dernier. Ce n’est pas bien grave, ça arrive à tout le monde. En attendant, Alice & Martin est une oeuvre sans grâce, sur-écrite et souvent pas très crédible. Pourtant, d’un point de vue strictement thématique, Alice & Martin est téchinien en diable et pourrait s’intituler Les Voleurs cueillent les roseaux sauvages pendant ma saison préférée : noeuds familiaux indémêlables, relations sentimentales problématiques, difficultés à faire coïncider son identité avec la machine sociale… Alors comment le même univers donne-t-il d’un côté des films gracieux (Les Roseaux…), coupants (Les Voleurs), et de l’autre un film forcé comme celui-ci ? La première raison tient à l’acteur principal. Créature téchinienne typique, dans la lignée d’un Wadeck Stanzak, Alexis Lioret est très beau physiquement mais très fade cinématographiquement. Quant il apparaît à l’écran (c’est souvent le cas), le film se fige, devient pure théorie, comme un scénario débité mécaniquement. Par contraste, les séquences avec Binoche et Amalric sont pétillantes, pleines de vie et s’incarnent immédiatement. Deuxième problème : le scénario, trop artificiel et explicatif. Ainsi, après avoir obstinément refusé les avances de Martin, Alice s’offre soudainement à lui dans l’inconfort d’un lieu de travail. Pourquoi ? Selon quel cheminement ? Mystère d’une passion à laquelle on a du mal à adhérer. Dans un autre registre, l’explication finale sent le sur-réchauffé puisqu’on avait pressenti le trauma de Martin dès le début (et à peu près tout compris à mi-film). Mais si le scénario est si grossièrement visible, c’est surtout parce que la mise en scène ne parvient pas à le faire oublier, à le transmuter en cinéma. Le désir romanesque de Téchiné est toujours là, mais dans Les Roseaux sauvages, il semblait prélevé dans le battement même de la vie. Ici, les décors sont banals, certaines séquences font dans le chromo touristique et le filmage semble dépourvu de cette tension fiévreuse qui contamine les meilleurs Téchiné. En outre, cette mise en scène lisse est parfois aussi appuyée que le scénario : ainsi, la scène où le personnage d’Amalric roule un gros patin baveux à son partenaire. Ce plan nous paraît aussi gratuit qu’insistant : en effet, il arrive en conclusion d’une séquence qui n’avait rien à voir avec l’homosexualité d’Amalric (dont le film nous avait déjà largement informés) et Téchiné le fait advenir par un détour de caméra très marqué. On sent dans ce passage comme une volonté un peu vaine de « bousculer » le bourgeois hétéro ou de prouver qu’Amalric peut jouer un pédé en s’impliquant totalement. Certes, ce plan n’est qu’un détail, mais significatif à notre sens de la facture artificielle et forcée de ce film. Ces roseaux-là sont trop jardinés pour nous émouvoir.
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