Tim Burton en 3D : Digital, Dispendieux mais surtout Disgracieux.
Objectivement, d’un point de vue technique, Alice au pays des merveilles délivre tout ce qu’on pouvait en attendre.
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D’abord, la fidélité au conte de Lewis Carroll que tout le monde connaît. Ils sont venus chez Tim Burton, ils sont tous là : Alice évidemment, devenue entre-temps une jeune femme, le lapin blanc, le chapelier fou, le lièvre de mars et autre chat du Cheshire.
Ensuite l’onirisme baroque : Carroll + Burton = une fantasia de visions, d’images décalées de la réalité, de scènes surréalistes, de torsions de l’espace et du temps, le tout issu de l’imaginaire débridé du cinéaste, d’un budget confortable et d’un état de la technologie numérique qui permet facilement tous les délires visuels.
Contrat rempli, donc, le spectateur en aura pour son argent, rideau. Mais justement, en inventoriant les ingrédients de la réussite de ce film, on a aussi énuméré les raisons de son échec.
Oui, Alice au pays des merveilles est irréprochable sur le plan du cahier des charges d’une production, et distille pourtant un ennui profond, collant, têtu, malgré son agitation visuelle permanente.
Le premier problème vient peut-être de ce qu’on connaît cette histoire par cœur. Il y a généralement deux réactions possibles devant de tels films : soit le plaisir de se faire raconter ce qui nous est déjà familier, le confort de la revoyure, en jouissant des subtiles ou importantes variations du nouvel interprète d’une partition connue ; soit l’ennui du énième retour d’un récit qui ne prodigue plus la moindre surprise. On est ici dans la seconde hypothèse.
L’autre problème d’Alice, c’est que ce film repose entièrement sur ce qu’il y a finalement de moins intéressant chez Burton : l’imagerie.
Quand son univers gothico-baroque communique avec la réalité prosaïque du commun des mortels, ça peut donner des choses magnifiques (Edward aux mains d’argent, Ed Wood, Big Fish…). Quand cet univers visuel est complètement coupé du réel, situé dans un imaginaire pur et où les inventions plastiques n’existent plus que pour elles-mêmes dans un ailleurs désincarné, l’ennui guette rapidement (Sleepy Hollow, Charlie et la chocolaterie, et donc Alice). On ne sent même plus ici la présence de Johnny Depp, noyé qu’il est sous les costumes, le maquillage et les effets spéciaux.
Alice pose aussi la question du féerique à l’heure de la toute-puissance digitale. Le film de Burton pourrait constituer un artefact parfait de démonstration technologique (effets digitaux, 3D), de la même manière que dans les seventies Dark Side of the Moon de Pink Floyd était le disque des vendeurs de hi-fi.
Mais si la perfection technologique peut éventuellement susciter de l’admiration (et encore, même cela est discutable : la 3D amuse cinq minutes, guère plus), déclenche-t-elle de l’émotion ?
Dans le cas de cet Alice, c’est clairement non. Burton et ses équipes semblent avoir dépensé une telle débauche d’énergie volontariste pour faire un film magique, merveilleux, qu’il ne distille absolument aucune magie, aucune féerie, aucune poésie.
Plus que jamais, on songe à Pialat quand il disait “c’est le cinéma lui-même qui est magique, qui est un effet spécial”. Et en effet, aucune scène d’Alice ne déclenche ce que peut parfois produire l’enregistrement par une caméra (analogique ou digitale, peu importe) d’une émotion intense sur un visage humain.
Pour être juste, il y a quand même un élément très intéressant dans Alice : le personnage de l’odieuse et très laide reine rouge (prenant à rebours la règle hitchcockienne selon laquelle un méchant réussi doit être séduisant), jouée par Helena Bonham Carter, Mme Burton à la ville.
Avoir confié un rôle aussi négatif et détestable à son épouse nous questionne sur la façon dont fonctionne le couple Burton et sur leur rapport au travail artistique, qui semble avoir besoin d’une bonne dose de sadomasochisme pour continuer d’avancer.
Mis à part ce nouveau codicille à ajouter à la longue saga des relations entre les cinéastes et leurs muses actrices, Alice au pays des merveilles prouve que la poésie et le merveilleux ne se décrètent pas à l’avance, mais résultent d’un processus mystérieux qui n’a le plus souvent pas grand rapport avec la mise en chantier d’un blockbuster.
Le film défile comme la partition d’un piano mécanique, comme du Cocteau piqué aux hormones et réglé sur pilotage automatique : nickel mais sans âme. Notre époque libéralo-techniciste a parfois le cinéma et la “poésie” qu’elle mérite.
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