Longtemps abonné aux rôles de bellâtre un peu fade, Alex Pettyfer est monté en puissance depuis sa rencontre avec Steven Soderbergh pour « Magic Mike » et révèle aujourd’hui toute l’étendue de son talent dans « The Strange Ones »
« Good luck ! » nous lance-t-il, rieur, lorsqu’on expose notre ambition faire son portrait, et donc, fatalement, de lui poser quelques questions personnelles, auxquelles il ne semble pas très avide de répondre. Parfaitement courtois tout au long de l’entretien, Alex Pettyfer reste évasif quand il s’agit d’évoquer certains épisodes de sa vie. Il se réfugie derrière un goût affirmée pour l’aventure et l’évasion, un clin d’œil et un sourire, et difficile d’en savoir plus. Par exemple sur sa raréfaction des plateaux hollywoodiens à l’orée de la décennie, pour réapparaitre aujourd’hui dans des films de plus petit calibre. Et pourtant, bribe par bribe, on parvient à arracher les informations, à lui faire dire ce qui l’a mené, de ses débuts de bellâtre un peu fade (lui-même en convient), à des choix de plus en plus intéressants, de plus en plus intrigants.
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Ainsi de ce Strange Ones dont il est venu à Paris faire la promotion, et qu’on le sent particulièrement fier de défendre. « Il est vital pour moi de tourner dans de tels films, indépendants, intelligents, pour garder ma passion intacte pour le métier d’acteur. C’est la première fois que je me suis aussi libre sur un plateau, libre par exemple de m’inventer une back story pour mon personnage », lâche-t-il lorsqu’on évoque sa collaboration avec Lauren Wolkstein et Christopher Radcliff, paire de réalisateurs débutants qui sont allés le chercher pour leur premier long-métrage. Adapté de leur court de 2011, celui-ci raconte la fuite de deux jeunes types, l’un encore adolescent, l’autre un peu plus âgé, sur les petites routes de l’Amérique reculées, à la suite d’un évènement traumatique dont le sens ne nous sera révélé qu’à la fin. A l’instar de son personnage dans The Strange Ones (depuis le 11 juillet en salles, et tout à fait recommandé), Alex Pettyfer a donc le goût du secret, à défaut d’avoir, c’est du moins ce qu’on lui souhaite, un passé aussi trouble.
Des débuts moyens, en Angleterre puis à Hollywood
De ce qu’on en sait, et de ce qu’il veut bien en révéler, le sien commence en 1990 dans une petite ville de l’est de l’Angleterre. Élevé dans une famille plutôt aisée (mère architecte d’intérieur, père acteur), il grandit à la campagne, et se retrouve en pension à l’adolescence, ne brillant pas spécialement en cours. A l’époque, il rêve de devenir pilote de course : « Je me souviens que, petit, on passait tout le temps devant une piste, et j’étais fasciné par le bruit des moteurs, même sans rien voir. Un jour j’ai demandé à mon père de m’y emmener, il m’a payé quelques tours, et ça m’a tout de suite plu. Plus tard, j’ai développé une passion pour Steve McQueen. C’est lui qui parle le mieux des sensations sur un anneau de vitesse, lorsque le monde s’abstrait sous la pédale d’accélérateur. C’est comme une sorte de méditation. Plus rien d’autre ne compte que la maitrise du véhicule. Tout le reste disparait. Je suis devenu accroc ».
Sa mère, dans le même temps, constatant sa nullité académique, l’encourage à développer sa créativité, à faire du théâtre, à passer des castings — les voitures avec papa, l’art avec maman, classique… C’est ainsi qu’il décroche, à 15 ans, son premier rôle dans un téléfilm anglais, avouant qu’à ce moment-là, « [il] se contentait de se pointer aux auditions, sans avoir la moindre idée de ce qu’[il] faisait ». Il enchaîne l’année suivante avec un premier film pour le cinéma, Alex Rider : Stormbreaker, petit blockbuster pour adolescents, avec Mickey Rourke et Ewan McGregor, tourné en Grande-Bretagne, pas loin de chez lui. Le film bide plus ou moins, mais lui offre tout de même, comme l’on dit, son ticket pour Hollywood.
Le voilà donc, débarquant à 16 ans, sans famille, à Los Angeles, pour y enchainer les castings, comme des milliers de types qui ont la chance d’avoir hérité d’un physique avantageux, et qui passent l’essentiel de leur temps dans des cafés comme serveur, ou dans leur voiture comme chauffeur Uber. Mais Alex Pettyfer a plus de chance, plus de talent et décroche, au bout de cinq années (sur lesquelles il est peu prolixe), un rôle important — en terme de visibilité du moins : le héros de Numéro Quatre, young adult movie destiné à devenir franchise (raté), produit par Michael Bay et Steven Spielberg en pleine lune de miel post-Transformers. Des deux moguls, le jeune comédien garde un souvenir attachant, louant la « précision mathématique » du premier, et la « bienveillance » du second, même s’il regrette, finira-t-il par nous le confier, qu’ils n’aient pas davantage joué un rôle de mentor — la trajectoire chaotique de Shia Labeouf devrait pourtant le convaincre qu’il ne s’agit pas là nécessairement d’une voie royale… Il enchaine la même année avec Sortilège, remake gnangnan de La belle et la bête, et un second rôle dans Time Out, film d’anticipation décevant d’Andrew Niccol.
Une rencontre vitale : Steven Soderbergh pour Magic Mike
Ainsi, la célébrité s’amoncelle, mais pour l’accomplissement personnel, on repassera. Le comédien concède qu’il s’ennuie sur les plateaux, ne se satisfait pas d’un métier qui ne lui offre pour l’instant que des écrans et des billets verts, lui qui rêvait de devenir Clint Eastwood ou Steve McQueen, de tourner avec Scorsese ou P.T.A. (comme 99 % des acteurs à qui l’on pose la question, soit dit en passant…). Il raconte l’anecdote suivante : « Un des premiers jours du tournage de Numéro Quatre, je devais courir au milieu d’explosions et de lasers, qui bien sûr n’existaient pas. Dès la première prise, je donne tout. Cut. Assez fier de moi, je me retourne et voit tout le monde mort de rire. Je ne comprends pas. Alors le réalisateur, DJ Caruso, vient me voir et me dit : ‘tu sais Alex, tu n’as pas besoin de faire ’tiou tiou’ et ’broom’ avec la bouche : on aura des bruiteurs pour ça' ». Rapidement, il se traine une mauvaise réputation, ce qui, à cet âge-là, sans rôle majeur ni franchise pour le porter, peut être fatal. On en a vu sombrer avec un meilleur CV que ça.
C’est alors que la chance lui sourit : la bonne rencontre, au bon moment, avec, roulement de tambour, Steven Soderbergh. On est en 2012, le cinéaste toujours à l’affût cherche un beau gosse un peu branleur pour jouer aux côtés de Channing Tatum dans Magic Mike. Il tombe sur le book de Pettyfer, et le contacte. « Quand j’ai reçu le scénario, j’ai d’abord cru à une blague. Soderbergh qui s’intéresse à moi ? Non, il a dû se tromper. Je l’ai quand même (évidemment !) lu, et 2h plus tard je l’ai rappelé, enthousiaste. C’est bien lui qui a décroché, et qui m’a dit “alors allons-y”. Ma vie a changé ». Le vrai mentor, le voici. Avec lui, Pettyfer découvre qu’il existe une autre manière de jouer, d’envisager la production d’un film « ne coûtant que 6 millions de dollars au départ et en rapportant finalement des centaines de millions », glisse-t-il, admiratif. Il joue là un type paumé sur les chantiers immobiliers de Floride, repéré par un autre, à peine moins paumé (Channing Tatum), qui le prend sous son aile et l’intègre à son crew de strip-teaseurs. On sait cette histoire inspirée de celle, réelle, de Tatum, mais elle fait puissamment écho à la vie du petit british venu avec ses pecs et ses abdos conquérir l’Amérique… et déchantant devant l’impitoyable loi du show business, son argent facile et ses pièges mortels.
Un réalisateur en devenir
Pour lui cependant, l’essentiel est là : le film joue à fond son rôle de catharsis. « Après cette expérience, impossible de revenir à ce que je faisais avant. Après le succès de Magic Mike, j’ai eu beaucoup de propositions, mais j’en ai refusé la plupart. Quitte à faire moins de films, je ne veux faire que ceux que j’affectionne ». Ce sera, notamment, Le Majordome de Lee Daniels (oscar movie passable mais prestigieux), Elvis & Nixon (très bonne comédie sur la rencontre mythique entre les deux hommes), et The Strange Ones, donc. Des films de plus en plus intéressants. Le début d’une carrière qui ressemble à quelque chose. Avide de connaissances et d’expériences, il prend également goût à ce qui se passe derrière la caméra, demande à chaque cinéaste qu’il croise de lui donner des conseils. Ceux-ci ont, semble-t-il, porté, puisque Pettyfer vient de terminer un premier film, montré en avant première au festival de Tribeca en avril. Une adaptation de best seller, un thriller adapté pour l’écran par son compatriote Adrian Lyne (Flashdance, 9 semaines 1/2, Attraction fatale…), sur « les relations de pouvoir abusives dans un cadre familial », qu’on verra peut-être prochainement, si le dieu des distributeurs le veut. Good luck !, c’est tout ce qu’on lui souhaite.
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