Comment survivre à Gaza malgré la désolation ? Un documentaire se lance dans un état des lieux triste et juste.
A Gaza, dans un zoo dévasté, où les lions sont empaillés derrière des barreaux rongés par la rouille, quelques singes inquiets tentent de faire sauter les verrous de leurs enclos ; l’un d’eux, baptisé Sharon, « parce qu’il est féroce et attaque tout le temps », bondit furieusement à la vue des rares flâneurs : même les animaux sont accablés par les dérives humaines.
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D’autres tableaux se succèdent, tracés dans le décorum désolé de Gaza ravagée par les bombes. Tous témoignent d’un mode de vie éteint et d’habitus façonnés par l’effondrement des infrastructures et la menace constante d’une bascule sanglante. Les clowns amusent les écoliers en imitant le son des explosions ; les familles se promènent sur les plages en surveillant les avions ; des rappeurs improvisent joyeusement un flow convaincu à la charge des puissants d’Israël. La ville prend de francs airs de terrain vague, mais la vie y perdure ; une vie sans contemplation et sans certitudes, mais une vie tout de même.
Ces chroniques unipolaires, cantonnées au bord palestinien, pourraient se voir taxées de partialité et d’univocité. A tort : il ne s’agit pas de traiter d’un antagonisme entre deux peuples, en déclarant les uns martyrs et en érigeant les autres en invisibles bourreaux. La force du film tient justement à sa nature profondément civile, sinon apolitique : l’objet est de dresser un état des lieux de l’humanité en milieu hostile, de sonder ses capacités de maintient et d’adaptation alors qu’elle se trouve mise à l’épreuve par une conjoncture extérieure littéralement écrasante.
Nicolas Wadimoff y parvient assez justement, amenant la question de la construction de l’individu dans un environnement écroulé, comme en régression constante. Que peut-il rester des aspirations et des desseins personnels lorsque l’espace semble mortifié? Si idéologie il y a, elle réside seulement dans les propos des protagonistes lors de quelques discussions, dont une résonne particulièrement : alors que l’un des jeunes gardiens du zoo déplore l’impossibilité de faire les études de médecine qui l’attiraient parce que « les Juifs » ont paralysé l’ordre social, son collègue le reprend simplement : « qu’est-ce que les Juifs ont à voir avec tes études ? »
Signe d’une diversité des regards et d’un recul persistants malgré le poids de la misère. Bien que s’en tenant au constat, ces chroniques sont donc bienvenues en tant que tour d’horizon, observant quelques destins emportés par les méandres d’un conflit si ancré dans la réalité qu’il n’en est quasiment plus politique. Qu’importe si les regards restent dirigés tout du long sur un seul bord: c’est justement par leur brillante absence que les victimes du bloc opposé appellent subtilement un autre film, situé cette fois par-delà la frontière.
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