Un homme va mourir. Nimbé de flou et laissant la part belle à l’imaginaire, le « testament » filmique de Resnais repose dans son titre.
C’est la troisième fois – après Smoking/NoSomking et Coeurs – que Resnais adapte le dramaturge Alan Ayckbourn, fin décrypteur des moeurs et des coeurs dans la campagne anglaise (donc partout).
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Tout tourne autour d’un personnage que l’on ne verra jamais : George Riley. Cet homme que tout le monde décrit comme « normal » a au moins une qualité : il plaît aux femmes. Il apprend par son médecin (Hippolyte Girardot) qu’il est condamné et décide de partir en vacances à Ténérife. Le docteur a le malheur de violer le secret médical et de révéler le destin de George à son épouse (Sabine Azéma).
Le bouche à oreille va bon train, et bientôt se pose la même question aux femmes de la région qui ont aimé George : laquelle d’entre elles (Sabine Azéma, Caroline Silhol, Sandrine Kiberlain) va-t-il choisir pur l’accompagner dans son dernier voyage ? Rivalités, mesquineries, humour vache, blessures non refermées, le petit théâtre ayckbournien va son train, décrivant avec indulgence les faiblesses de ses contemporains.
Resnais, lui, a choisi une nouvelle forme pour son dernier ouvrage : aux décors de studio hyperréalistes de S/NS ou de Coeurs, il substitue un univers irréel, flou, imaginaire. Mélangeant vues aériennes, illustrations du dessinateur Blutch et décors en tissus déchirés où les comédiens semblent s’ébrouer, il les fait glisser, eux et leur jeu si précis, dans une zone indistincte où l’imagination du spectateur est en permanence sollicitée, où rien ne semble figé.
Comme un brouillard, pareil aux méduses d’On connait la chanson, à la neige nocturne de Coeurs, à la poussière qui brille dans le noir. Aimer, boire et chanter, quel drôle de titre au fond, pour un film si funèbre quand même, comme une bulle qui partirait vers l’ombre.
Kubrick avait conclu son dernier film, Eyes Wide Shut, sur un « Let’s fuck » dit par Nicole Kidman. Alain Resnais nous quitte en nous laissant Aimer, boire et chanter (alors que le titre de la pièce est Life of Riley). Chacun son truc.
Dans le dossier de presse, Sabien Azema déclare : « Avec Resnais (sur le tournage de La Vie est un roman, leur première collaboration, en 1993 – ndlr), j’avais le sentiment d’être partie en voyage, un voyage qui n’aurait pas de fin. Peut-être, après tout, avons-nous le même âge, le même plaisir de jouer, de continuer à jouer ensemble. Je vois toujours la même image : on est dans un jardin d’herbes hautes , d’herbes folles, évidemment. C’est lui qui ouvre les grilles rouillées, on ne sait pas où on est, on ne sait pas où on va et on arrive quelque part. Toujours. »
Il semblerait que Resnais, au contraire de George, avait choisi la femme qui l’accompagnerait dans son voyage. Merci à vous, Mademoiselle Azéma.
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