Dans Aïe, l’ange du bizarre dérange le bel ordonnancement de la comédie morale d’obédience rohmérienne. Il y a une vraie incongruité dans ce film, qui tient à un bluff général et particulier reposant essentiellement sur les dialogues. C’est le plaisir du « Il était une fois » des contes de fées appliqué à une histoire d’amour absurde. […]
Dans Aïe, l’ange du bizarre dérange le bel ordonnancement de la comédie morale d’obédience rohmérienne.
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Il y a une vraie incongruité dans ce film, qui tient à un bluff général et particulier reposant essentiellement sur les dialogues. C’est le plaisir du « Il était une fois » des contes de fées appliqué à une histoire d’amour absurde. Arbitraire même : le couple qui s’esquisse entre une serveuse-mannequin anorexique d’une vingtaine d’années et un célibataire-quinquagénaire dragueur toujours amoureux de sa précédente maîtresse n’a aucune raison d’être. Il n’existe qu’en fonction de la proposition formelle que fait la jeune femme à cet homme : « Si vous voulez, je peux tomber amoureuse de vous. »
Nous sommes donc dans le jeu. Les choses ne sont pas ressenties, mais expérimentées, testées. Il ne s’agit pas d’enfantillages puisque Aïe (nom de l’héroïne) pousse sa menace aimer Robert à exécution. Cependant, tout le film est placé sous le signe de la déstabilisation et de la provocation adolescente. C’est ce qui fait sa (relative) drôlerie. En tout cas, sa singularité. Alors on ne trouvera pas dans ce dispositif de l’invention visuelle, de l’incarnation. Par exemple, le bébé de Claire n’a pas d’existence propre. On le brandit comme un bout de bois lors des discussions. La mise en scène est mentale et les quelques situations un peu loufoques ressortissent au théâtre de boulevard : l’amie que la sœur de Robert veut à toute force lui présenter est Claire, la dernière maîtresse en date de Robert ; dans le placard où Claire le cache quand son mec débarque, Robert retrouve Aïe ; etc.
Le piquant du film réside essentiellement dans le personnage poil-à-gratter de Aïe, dont les idiosyncrasies viennent bouleverser le déroulement orthodoxe de la comédie française d’obédience rohmérienne : d’une part, Aïe s’obstine à dégoûter l’objet de son amour expérimental en détaillant sa manière de se faire vomir dans la douche, c’est plus discret ! et en rabâchant cette manie tout au long du film.
D’autre part, lorsque le bluff amoureux se délite, vers la fin du film, Aïe élude le passage à l’acte (sexuel) longtemps différé en relançant la machine à fiction. Elle annonce à Robert avec un sérieux de pape qu’elle est une extraterrestre nommée Yognor. Cette irruption de la science-fiction est comme la métastase kitsch d’un film articulant à l’envi le discours amoureux ; la plus haute manifestation de liberté narrative, de poésie, dans la comédie morale qui repose habituellement sur de savants entrelacs logiques. Qui dit personnage mutant dit récit baroque. Sophie Fillières a le culot de postuler l’anarchie du sens.
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