Maroc’n’blues. Un film marocain dont la mélancolie et le dépouillement narratif tranchent avec le cinéma arabe habituel. Ce premier long métrage de l’écrivain, photographe et documentariste Daoud Aoulad-Syad ne ressemble guère au cinéma arabe. Il échappe à sa propension naturelle y compris chez les plus grands, comme Chahine à sursignifier, à plonger systématiquement […]
Maroc’n’blues. Un film marocain dont la mélancolie et le dépouillement narratif tranchent avec le cinéma arabe habituel.
Ce premier long métrage de l’écrivain, photographe et documentariste Daoud Aoulad-Syad ne ressemble guère au cinéma arabe. Il échappe à sa propension naturelle y compris chez les plus grands, comme Chahine à sursignifier, à plonger systématiquement dans l’épique et l’allégorique. Ici, pas de métadiscours. Adieu forain n’est pas une fable. Alors certains seront sans doute déroutés par l’aspect dépouillé de ce récit qui n’en est pas réellement un. C’est plutôt une juxtaposition de trois destins parallèles et inconciliables : Rabii, un jeune danseur travesti ; Kacem, vieil homme bourru qui engage le danseur pour égayer sa loterie itinérante ; et le misanthrope Larbi, fils de Kacem, qui travaille avec son père en l’ignorant. Tous trois sillonnent en camionnette les localités perdues du Sud marocain, où l’on devine que pour les villageois isolés, accablés par la sécheresse, la tombola de Kacem est la grande distraction annuelle. Larbi fait le bonimenteur et Rabii, déguisé en danseuse, attire le chaland suivant une tradition ancestrale qui, à l’instar du kabuki japonais, contraignait les hommes à se substituer aux femmes.
Peu importe l’enchaînement concret des événements. L’intérêt du film est ailleurs. Dans les silences, par exemple. Celui de Kacem, vieil homme brisé, rendu amer, croit-on deviner au détour d’une conversation, par la perte de sa femme. Egalement mutique, Larbi, personnage buté, cynique, amorce un début de relation amicale mais toujours distante avec Rabii, autre solitaire qui, lui, ne trouve de réconfort humain (amoureux ?) qu’auprès d’une jeune institutrice égarée dans le bled. Les solitudes conjuguées de ces êtres vivant dans l’attente d’un hypothétique ailleurs composent une étrange société. Pour eux, le présent semble n’être qu’un état transitoire et obligé, et le voyage, la manifestation tangible d’un exil intérieur, souligné constamment par des travellings latéraux qui dessinent des lignes de fuite. Filmage élégant mais discret qui est la plus belle marque de la singularité d’Aoulad-Syad. Son cinéma n’ergote pas, il ne revendique pas. Il passe.
Pourtant, on sent une tension souterraine. Le violent Larbi, le travesti fragile et l’inquiétant caïd (édile local) ne dépareraient pas un mélo délétère de Fassbinder ou Ripstein. Il en faudrait peu à cette humanité délitée pour devenir soudain le théâtre d’un crime sordide. Mais il ne se passe rien de tel. Kacem meurt de maladie, dans l’indifférence. Chez Aoulad-Syad, le malheur et le désespoir sont internes, ils n’affleurent pas. C’est précisément cette noire évanescence du récit, cette façon de glisser sur les choses et les êtres, qui rend le film si entêtant. Une telle fiction, à la fois languissante et gracieuse, n’en dit-elle pas plus long sur le blues du tiers-monde que maints reportages et documentaires ?
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