Quelle actrice, quelle pensée incarnée dans un corps de cinéma fut Adèle Haenel avant de devenir le symbole d’un combat.
Discours de “vérité”, “témoignage d’une puissance inouïe”, la “sincérité d’Adèle Haenel”… Depuis son témoignage sur Mediapart où elle a raconté avoir été la victime, enfant, de l’emprise physique et psychologique d’un homme, dans la foulée d’une enquête publiée sur le site d’information, les mots de l’actrice sonnent à nos oreilles comme une vérité uissante, souveraine, intérieure, qui a maturé pendant des années avant de naître au monde pour le rendre un peu meilleur, symbole d’une cause que seule une immense douleur chevillée à un solide sens du politique pouvait ériger comme telle, l’actrice de 30 ans la trimballe au fond depuis toujours avec et dans son corps.
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Adèle Haenel est née deux fois au cinéma : une première fois sous l’œil de celui qu’elle accuse, à 13 ans, dans Les Diables. Avant sa “disparition”. Cendres d’une carrière à peine commencée, fauchée, brisée. Puis renaissance dans un récit d’amour et de jeunesse filmé par la cinéaste – sa future compagne, aujourd’hui son amie et complice artistique – Céline Sciamma, le bien nommé Naissance des pieuvres.
Elle est l’anti-femme-objet
Tel un phœnix, la comédienne qui s’était révélée à travers le personnage d’une enfant autiste enfermée dans son handicap, ressuscitait en jeune fille de 18 ans éblouissante, athlétique, volontaire et cash. Une héroïne championne de nage synchronisée qui ne s’en laisse pas conter.
Très vite on s’est habitué et attaché au “style” Haenel : un corps élégant et délié de géante, une voix heurtée, un air parfois ronchon, de temps à autre de drôles de contractions du visage, des yeux ronds, d’un bleu-vert limpide, un sourire à tomber. Parmi les témoignages, dont celui de la directrice de casting Christel Baras qui l’a remise en selle, beaucoup disent qu’elle est “une actrice née”.
Il faut ajouter ceci : elle est l’anti-femme-objet, s’inventant et s’érigeant peut-être, consciemment ou non, contre son ancienne agression. Après nageuse, Adèle Haenel sera, dans le désordre, survivaliste apprentie militaire (Les Combattants), lieutenante de police (En liberté !), militante engagée (120 battements par minute), parisienne révolutionnaire (Un peuple et son roi)…
Adèle Haenel et la passivité, ça fait deux
Les rôles et les titres parlent d’eux-mêmes : l’actrice défonce les portes. Elle permet et impose aux cinéastes de forger des héroïnes à sa hauteur. Elle élargit le champ des fictions et de l’être, en toute intrépidité.
Cette immense liberté physique et politique, existentielle, consent parfois à se mettre entre parenthèses, mais c’est alors pour mieux dénoncer l’aliénation des femmes, par exemple dans le film de Bertrand Bonello, L’Apollonide – Souvenirs de la maison close, où elle incarne une prostituée singeant, dans une fameuse scène, un automate afin de complaire au fantasme morbide d’un client.
Adèle et la passivité, même feinte, même consciente, ça fait deux. Son film qui formalise le mieux ce statement sera Portrait de la jeune fille en feu, anti-portrait, si l’on peut dire, d’une jeune femme qui refuse de servir de modèle et d’être peinte, qui se refuse au regard de l’artiste de manière vaillante et obstinée, jusqu’à nouer finalement avec elle (l’actrice Noémie Merlant) un puissant rapport de confiance.
La prochaine Marianne ?
On en revient à sa relation avec Céline Sciamma, sa sœur d’arme… On en revient à cette collaboration qui fut un amour dont l’expression généra, à la cérémonie des César en 2014, une image très forte et inoubliable : venue sur scène récupérer son prix de la meilleure actrice dans un second rôle pour Suzanne, de Katell Quillévéré, Adèle Haenel a ses mots : “Je voulais remercier Céline parce que je l’aime”, désarmant la salle entière par cette prise de parole de sincère, simple et émouvante. Haenel a juste contourné les discours conventionnels pour libérer une grande décharge d’amour, accomplissant au passage, mais comme sans y penser, son coming out.
Lundi 4 novembre, sous le choc de son intervention, nous avons repensé à ce moment, à cette première séquence symbolique de télévision. Adèle s’y révélait déjà comme un puissant symbole de ces jeunes gens qui ne tremblent pas d’assumer publiquement leur sexualité. Ni leurs émotions.
L’autre soir, dans son pull d’un blanc virginal, la voix parfois trébuchante, mais poussée par une nécessité intérieure, convaincue du bien-fondé d’un combat qui va au-delà de sa personne, celui pour le respect des femmes, elle est devenue une icône de liberté, d’égalité et de sororité. La prochaine Marianne ? On est prête à parier dessus.
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