Dans une tribune du « Monde », de nombreuses personnalités du cinéma dont Adèle Haenel, Philippe Garrel, Bertrand Mandico et Alain Guiraudie se mobilisent pour défendre la ZAD de Notre-Dame-des-Landes comme « un lieu réel qui lutte pour construire des imaginaires ».
Dans une vibrante tribune publiée dans Le Monde, de nombreuses personnalités du cinéma encouragent à défendre la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en tant que « lieu réel qui lutte pour construire des imaginaires« .
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Le spectre des signataires est très large puisque l’on retrouve aussi bien des cinéastes français (Serge Bozon, Sophie Letourneur, Bertrand Mandico, Alain Guiraudie, Philippe Garrel) qu’étrangers (Katsuya Tomita, Miguel Gomes, Joao Pedro Rodrigues, Aki Kaurismäki), des essayistes (Yves Citton, Pacôme Thiellement), des critiques de cinéma (Jean-Michel Frodon, Raphaël Nieuwjaër, Laura Tuillier), des techniciens (Rui Poças, Robin Fresson, Catherine Zins), des acteurs et actrices (Clotide Hesme, Adèle Haenel, Nahuel Pérez Biscayart).
Si ces derniers réhabilitent le pouvoir de l’imaginaire, ils regardent également la réalité bien en face : « la vérité, c’est qu’il y a des expulsions à Notre-Dame-des-Landes, c’est que des personnes qui luttent auront leurs maisons détruites. Des personnes qui se sont battues, des années durant, contre des aménageurs, un aéroport et leur monde, et qui ont gagné. La vérité, c’est que l’Etat s’acharne à détruire des expériences communes, des tentatives d’organisations qui s’inventent encore et toujours, une nature qui se défend et les vies multiples qui l’habitent« .
Forever Godard
À l’origine de la tribune, il y a Vent d’Ouest, film que l’on a attribué à Godard, pendant un court moment, avant que l’on comprenne qu’il s’agissait en fait d’une « habile parodie« . Mais au fond peu importe, le geste est là et le court-métrage a été perçu par beaucoup comme un « appel » à s’engager ouvertement. L’écho a été éloquent et se concrétise désormais sous la forme de cette tribune qui invite à se mobiliser, à créer, à filmer surtout : « Soyons présents et agissons avec nos mains, positionnons-nous avec nos yeux, regardons avec nos pieds et imaginons mille manières de vivre« .
La tribune rappelle également le manifeste de 1970 écrit par le cinéaste de La Nouvelle Vague intitulé Que Faire ? La réponse lie le politique à la fabrication artistique : « 1. Il faut faire des films politiques. 2. Il faut faire politiquement des films« . Les signataires affirment ainsi un idéal politique, structuré par de multiples horizons de fuite, loin d’un réel bas de plafond. Ils invitent à prendre des positions claires : « on ne peut pas être du côté de la police et des manifestants et manifestantes. Faire 1, c’est croire qu’il y a des vrais et des faux films. Faire 2, c’est savoir que la vérité est dans la lutte« .
Voilà pourquoi ils s’insurgent contre la célébration tristoune de Mai 68, plus mortifère qu’autre chose, qui fossilise tout sur son passage : « De commémorations en commémorations, on paralyse l’action en la muséifiant. On ignore les réfugiés et réfugiées, les cheminots et cheminotes, les étudiants et étudiantes, les postiers et postières, le personnel médical et la répression quotidienne dans les banlieues« .
« Supprimer l’agonie »
Cette année, l’un des gestes les plus fous de Cannes a été la conférence de presse surréaliste de Godard (toujours lui !) depuis FaceTime. Véritable court-circuit des us et coutume, la présence de Godard, hologramme rassurant, débordant de l’écran du smartphone et de toutes les cases en générale, réanimait un peu l’audace de Mai 68. Elle réactivait doucement un héritage avant-gardiste fait d’happening et de détournement. On pense aux Lettristes et aux situationnistes qui n’ont eu de cesse de réinventer l’art et la politique, souvent dans la rue, sur les murs, écrivant sur n’importe quel support, se ré-appropriant tous les espaces, décalant les confrontations et les luttes.
Encore une fois, les signataires ont bien entendu Godard et ont retenu, entre autres, que c’était aux « mains » d’agir. Ces mains fragiles, évoquées par Chris Marker dans Le Fond de l’air est rouge, sont celles du monteur zélé et du militant combatif. S’opposant à l’agonie du réel, ils en appellent à une politique de la morsure : « Se servir des images et des sons comme les dents et les lèvres pour mordre. Nous, cinéastes, appelons donc à « mordre », c’est-à-dire à filmer et à défendre ce territoire qui bat et se bat. Car défendre la ZAD lorsque l’on fait du cinéma, c’est défendre une idée de l’expérimentation, c’est défendre un lieu réel qui lutte pour construire des imaginaires, d’autres imaginaires, pour dessiller le regard et supprimer l’agonie« .
Ils empruntent ainsi à Vent d’Ouest, film qui s’impose comme le fer de lance d’une certaine résistance, son mot de conclusion. Supprimer l’agonie, c’est faire un pas de côté, refuser la léthargie d’une vie passive qui n’est, comme dirait Perec, qu’« un sommeil sans rêves« .
Liste des principaux signataires : Julie Bertuccelli (cinéaste) ; Serge Bozon (cinéaste) ; Jean-Stéphane Bron (cinéaste) ; Dominique Cabrera (cinéaste) ; Lou Castel (acteur) ; Jean-Paul Civeyrac (cinéaste) ; Jean-Louis Comolli (cinéaste, écrivain) ; Catherine Corsini (cinéaste) ; Pedro Costa (cinéaste) ; Marina Déak (cinéaste) ; Yann Dedet (monteur, cinéaste) ; Vincent Dieutre (cinéaste) ; Alice Diop (cinéaste) ; Jean-Pierre Duret (cinéaste, ingénieur du son) ; Victor Erice(cinéaste) ; Esther Garrel (actrice) ; Philippe Garrel (cinéaste) ; Miguel Gomes (cinéaste) ; Robert Guédiguian (cinéaste) ; Alain Guiraudie (cinéaste) ; Adèle Haenel (actrice) ; Clotilde Hesme (actrice) ; Aki Kaurismäki (cinéaste) ; Nicolas Klotz(cinéaste) ; Sophie Letourneur (cinéaste) ; Bertrand Mandico (cinéaste) ; Valérie Massadian (cinéaste) ; Mariana Otero (cinéaste) ; Arnaud des Pallières (cinéaste) ; Joao Pedro Rodrigues (cinéaste) ; Elisabeth Perceval (cinéaste) ; Thierry de Peretti (cinéaste) ; Nahuel Pérez Biscayart (acteur) ; Serge Le Péron (cinéaste) ; Joana Preiss (actrice, cinéaste) ; Ben Rivers (cinéaste) ; Jonathan Rosenbaum (critique) ; Ben Russell (cinéaste) ; Thomas Salvador (cinéaste) ; Claire Simon(cinéaste) ; Pierre Trividic (cinéaste, scénariste) ; Paul Vecchiali (cinéaste) ; Akram Zaatari (cinéaste).
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