Qu’est devenu le film d’action ? Des « James Bond » aux « Expendables », la réunion de famille des gros bras vieillissants, histoire d’un genre qui a dominé les années 80.
Le film d’action est aussi vieux que le cinéma. Dans le western, le péplum, le film d’aventures, le cinéma burlesque, l’acteur se doit d’être un athlète. Le spectacle, c’est avant tout un savant travail de cascades. Dès les années 60, la série des James Bond allonge les scènes d’action et amplifie leur ascendant sur le récit et la mise en scène. Le film d’action des années 80 simplifie encore tous les enjeux dramatiques pour les ramener à des alternatives manichéennes. Il privilégie le combat comme seul motif spectaculaire et la violence comme seul moyen de surmonter l’adversité. En outre, il esquisse une tournure un peu parodique du genre : désormais chaque rafale de mitraillette doit être ponctuée d’une vanne, d’un sourire en coin (les fameuses punchlines de Bruce Willis ou Schwarzenegger).
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Au pire, le genre offre une multitude de séries B fauchées, faites par des tâcherons (Peter Hyams, John G. Avildsen). Au mieux, il a ses poètes comme John McTiernan, dont le Piège de cristal, et son sens viscéral de l’espace, est au film d’action ce que Rio Bravo est au western ; ou James Cameron, qui transforme le film d’action en champ d’expérimentation plastique inouï (les effets spéciaux sidérants de Terminator 2). Il a aussi ses agitateurs qui le pervertissent de l’intérieur en mariant fonte et matière grise : John Carpenter (New York 1997, Invasion Los Angeles), puis Paul Verhoeven (Robocop, Total Recall) ont transformé d’innocents films de bagarres ou de SF en critique virulente de la politique américaine.
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Domination économique
Si le cinéma d’action ne naît donc pas véritablement dans les années 80, c’est bien à partir de cette époque qu’il devient le genre dominant et s’établit sur les ruines encore fumantes du Nouvel Hollywood des Coppola, Cimino, etc. Ses premiers promoteurs sont de jeunes producteurs aux dents longues, mandatés par des studios soucieux de reprendre la main. Le duo Jerry Bruckheimer/Don Simpson d’un côté (Le Flic de Beverly Hills, Top Gun, Bad Boy), et Joel Silver (Commando, Predator, 48 heures, Piège de cristal) de l’autre, en sont ainsi les figures emblématiques. Tout en symbolisant la part la plus agressivement commerciale du cinéma hollywoodien, ils ont permis à des cinéastes passionnants d’éclore : Tony Scott, John McTiernan ou Walter Hill leur doivent beaucoup – Michael Bay (Transformers, Armageddon…) aussi, hélas. Impossible de ne pas citer aussi Menahem Golan, mogul fauché et fantasque. Avec son complice Yoram Globus et sa major mineure appelée Cannon, il est à l’origine d’un tombereau de séries B inénarrables – parmi lesquelles se détachent les films de Chuck Norris, Charles Bronson ou Jean-Claude Van Damme – et aussi, c’est toute l’excentricité du personnage, d’un film de Godard (King Lear), d’un Cassavetes (Love Streams) ou d’un Barbet Schroeder (Barfly).
Grâce ou à cause de tous ces champions, l’action, au mitan des eighties, devient ultra bankable. Stallone puis Schwarzenegger deviennent les acteurs les mieux payés au monde ; chacun de leur nouvel opus est désormais préparé comme l’enjeu industriel de l’année. Le corps bodybuildé devient un idéal de masse : comme l’a dit Schwarzy lors de la conférence de presse d’Expendables 2 à Paris : « Aujourd’hui, il y a des salles de sport dans tous les hôtels du monde, qui me permettent de m’exercer où que j’aille. » Hourra !
Le socle idéologique
Le cow-boy est le parrain idéologique du cinéma d’action : aventurier solitaire, macho, le doigt sur la gâchette, aux marges de la légalité et qui s’oppose à l’autorité. Ceci explique que Clint Eastwood et Charles Bronson aient facilement transité du western au film d’action contemporain dans les années 70-80. Le héros y est d’abord seul. Au mieux, il a un partenaire (les buddymovies comme 48 heures ou L’Arme fatale) mais pas plus, histoire de flatter l’ego des stars et l’individualisme eighties. À partir de 1982, les succès conjoints de Stallone et Schwarzenegger illustrent bien les années Reagan et Bush Sr, où les gouvernements délaissent la société pour se réaliser dans l’ultralibéralisme et muscler leur politique étrangère. Après Rocky, l’ouvrier issu de l’immigration qui s’élève socialement, c’est à l’Amérique et à son histoire récente que Rambo offre une revanche. Il lui permet, pectoraux bombés, de dépasser le trauma du Vietnam et d’enterrer vingt ans de crise idéologique et de questionnement politique.
Que sont nos héros devenus ?
Aujourd’hui, que reste-t-il des montagnes de muscles et des tonnes de TNT qui firent la joie des video-clubbers ? S’il n’a pas disparu, le genre a incontestablement muté. Milieu des années 90 : Hong Kong est sur le point d’être rétrocédé à la Chine, ses meilleurs cinéastes paniquent et partent accomplir leur destin à Hollywood. JCVD les accueille avec joie, trouvant avec eux ses meilleurs rôles, tout en courses folles et arabesques baroques (Chasse à l’homme de John Woo, Replicant et Risque maximum de Ringo Lam, Double Team et Piège à Hong Kong de Tsui Hark), mais les petits prodiges from HK se voient traités avec dédain par les producteurs américains et repartent quelques années plus tard. La greffe n’a pas pris – sauf pour John Woo – mais quelque chose de leur esprit déviant demeure sur les parois vertes du studio qui accueille en 1999 le game changer du cinéma d’action moderne : Matrix.
Produit par Joel Silver (encore lui) et réalisé par les frères Wachowski, le film au succès aussi colossal que surprise donne au genre une nouvelle peau. Grâce au numérique, les corps s’envolent et s’allègent, les murs de la réalité s’effondrent, la matière n’a plus de masse. C’est le crépuscule des corps bodybuildés des années 80, renvoyés à l’enfer du direct-to-DVD, dont Vin Diesel ou The Rock sont les derniers tenants. L’action est désormais indissociable de la technologie – sauf pour Jason Statham (Le Transporteur, etc.) qui, du haut de ses séries B délicieusement bas du front, fait, pour le coup, figure d’anachronisme. À l’affrontement manichéen entre le bien et le mal, succède désormais celui du vrai et du faux, du réel et du simulacre (Matrix, Paychek, Inception).
Expendables 2, malgré sa stratégie rétro, n’y change rien : les geysers d’hémoglobine sont aujourd’hui numériques et recouvrent les corps usés d’un voile de mélancolie que toutes les accolades viriles ne pourront leur ôter. Les héros ne meurent peut-être jamais mais parfois ils se sentent un peu cons.
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