Dans son nouveau film, « Rock’n roll », Guillaume Canet s’amuse à mettre en scène son propre personnage. Il n’est pas le premier comédien français à s’atteler à cet exercice. De « Grosse fatigue » de Michel Blanc à « Platane » ou « Dix pour cent », petite généalogie de ces œuvres où tout le showbiz français vient passer une tête dans son propre rôle.
Dans Rock’n roll, Guillaume Canet se met en scène en tant que Guillaume Canet, l’acteur, marié avec Marion Cotillard et ami d’autres acteurs, comme Gilles Lellouche, etc.
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Ce petit jeu n’est pas une spécialité française. Songeons à Buster Keaton jouant son propre rôle dans Boulevard du crépuscule de Billy Wilder, à Peter Falk dans Les Ailes du désir de Wim Wenders, et surtout à Dans la peau de John Malkovich de Spike Jonze…
Jouer son propre rôle, se mettre en scène n’est pas non plus un jeu narratif né avec le cinéma. Molière, oui, écrivit et joua en 1663 une pièce en un acte, L’impromptu de Versailles, où il se mettait en scène en train de répéter une pièce avec tous les membres de sa troupe…
Jouer son propre rôle est toujours une fiction et le public n’en est pas dupe. Personne ne croira que l’appartement de Guillaume Canet et Marion Cotillard dans son film est le réel appartement de Canet et Cotillard, et rien n’est fait pour tromper le spectateur sur ce plan-là. Jouer avec son image, c’est instaurer une complicité avec le public.
Ici, plus qu’ailleurs encore, tout est fiction. « Dites, votre documentaire, rassurez-moi, c’est une fiction, n’est-ce pas ?« , demandait l’oncle Jean, cinéaste devenu fou (Godard lui-même), dans son film Prénom Carmen.
Grosse fatigue de Michel Blanc (1994) :
Il n’est sans doute pas anodin que le sujet du film ait été soufflé par Bertrand Blier à Michel Blanc (voir plus bas)… Le film raconte l’histoire de Michel Blanc, le fameux acteur et réalisateur. Habitué à être adulé, il se rend compte un jour qu’il déclenche depuis peu des réactions agressives. Il découvre qu’un sosie parfait, Patrick Olivier, a pris sa place et se comporte extrêmement mal. Blanc s’amuse d’abord avec sa propre image et même à s’autodénigrer (« Vous allez arrêter de jouer les sous-Woody Allen franchouillards« , l’engueule Carole Bouquet dans le rôle de Carole Bouquet. Il se moque de lui en utilisant l’image de marque du personnage qui l’a rendu célèbre dans sa jeunesse, celui du dragueur loseur Jean-Claude Dusse des Bronzés. On le voit ainsi proposer le même rôle à diverses actrices – dont Charlotte Gainsbourg – en échange d’une petite coucherie amicale… Le récit prend peu à peu un tour kafkaïen, voire dostoïevskien (dans son roman de jeunesse Le Double), quand le sosie vole son pouvoir et son rôle au vrai Michel Blanc. Patrick est plus Michel Blanc que le vrai, tous les membres du théâtre du Splendid peuvent en témoigner (y compris Josiane Balasko, que l’on retrouvera d’ailleurs dans Les Acteurs de Bertrand Blier). Michel Blanc rencontre par hasard Philippe Noiret, qui lui-même s’est fait voler sa personnalité par un sosie. La copie serait-elle supérieure à l’original ? Sujet vertigineux, mais film qui ne dépasse pas son scénario (primé à Cannes).
https://www.youtube.com/watch?v=qptXyXdtIe8
Les Acteurs de Bertrand Blier (2000) :
Hommage assez empesé aux acteurs, le film de Bertrand Blier perpétue ce goût pour l’absurde désormais un peu daté qui a traversé tous ses films. Faire dire des cochonneries à des acteurs respectés (Sami Frey, notamment) crée un malaise dont il semble raffoler. Mais malgré tous ses efforts, Blier n’est pas Beckett, et le film vire rapidement à une suite de sketches pas très drôles à la Jean-Michel Ribes, avant de tomber dans la nostalgie gênante (« Il n’y a plus d’acteurs depuis la mort de Gabin », « C’était mieux avant » ; Delon vient pleurer sur eux, etc.).
Le Bal des actrices de Maïwenn (2007) :
Autre mise en scène : Maïwenn réalise un faux documentaire tourné « à l’arrache » (toute seule avec sa caméra HD) sur les actrices. Joey Starr, son compagnon de l’époque, joue aussi son propre rôle de compagnon, un peu agacé que la femme qui partage sa vie perde du temps à tourner un film qui n’en est pas un (on le retrouvera dans Dix pour cent, toujours dans son propre rôle)… Marina Foïs, Karine Viard, Mélanie Doutey, Jeanne Balibar (la plus émouvante), Julie Depardieu (la plus mignonne), Charlotte Rampling, etc., se prêtent à l’exercice. Aucune n’apprécie le montage final… Maïwenn réussit un étrange mélange : ce que disent les actrices de leur vie est souvent vrai, mais elles l’entremêlent avec des scènes de fiction totales (Mélanie Doutey adoptant un petit enfant indien au débotté). Le réel et l’imaginaire se perdent l’un dans l’autre, et c’est assez fascinant.
Platane, série d’Eric Judor (première saison en 2011) :
Eric Judor (d’Eric et Ramzy), sort du coma un an après être rentré dans un platane. Ramzy a continué sa carrière comme si de rien n’était. Éric, pour se relancer et se donner une nouvelle image, plus sérieuse, se lance dans un nouveau projet : La Môme 2.0 : Next Generation. Il engage Vincent Cassel, Monica Bellucci, Clotilde Courau, Pierre Richard, déjà Guillaume Canet, etc. C’est drôle, vivant, absurde, jamais pesant. Judor, acteur dans plusieurs films de Quentin Dupieux, réussit son pari audacieux. Sans prétention.
Dix pour cent, série créée par Fanny Herrero (première saison en 2015) :
Le métier d’impresario (terme devenu obsolète) dans une grande agence parisienne. Des acteurs jouent les agents, mais leurs clients sont de vrais acteurs. Pressenties pour jouer dans le même film, Nathalie Baye et Laura Smet se débrouillent pour échouer pendant les castings, effrayées à l’idée de passer trois mois l’une avec l’autre. Ces petites fictions mettent les célébrités dans la position de « guest stars », de stars invitées, pendant que d’autres fictions (les rapports entre les agents, leur familles, leurs stagiaires, etc.) se mettent en place et se développent d’épisode en épisode. Des récits très habilement construits qui ont remporté un grand succès lors de leur diffusion. Dans la deuxième saison, qui sera diffusée au printemps, Virginie Efira, Fabrice Luchini, Juliette Binoche ou Isabelle Adjani seront de la partie.
Bonus : le cas Johnny Hallyday
Comme nous l’avons vu, des acteurs semblent nés pour se jouer eux-mêmes : Josiane Balasko, Canet, Starr… Johnny Hallyday, lui, a joué des personnages chez Godard (Détective), Costa-Gavras (Conseil de famille), Johnnie To (Vengeance) ou Claude Lelouch (On t’aime… salaud !). Il a joué Johnny Hallyday, l’idole des jeunes, L’aventure c’est l’aventure de Claude Lelouch (1972), où Lino Ventura, Jacques Brel, Aldo Maccione, Charles Denner et Charles Gérard le kidnappaient… Mais aussi la star Johnny dans Mischka de Jean-François Stévenin (2002) et de nouveau, aux côtés de Laetitia, son épouse, dans le film de Guillaume Canet.
Il a aussi joué dans un film croquignolet, dans D’où viens-tu… Johnny ? de Noël Howard (1963), un western contemporain en Camargue, où il interprète trois de ses chansons. Dans L’Animal, de Claude Zidi, il fait une apparition en acteur tournant un film…
Et puis il y a aussi ce rôle étrange : dans Jean-Philippe de Laurent Tuel (2005), il interprétait celui qu’il serait devenu s’il était resté Jean-Philippe Smet et n’était pas devenu une vedette : un patron de bowling.
Il (nous) aura tout fait.
https://www.youtube.com/watch?v=pN14Mif_1cw
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