Chienne de musique. Débonnaires ou la gueule grande ouverte, les chansons de Chesnutt sont fidèles à elles-mêmes : indociles.
C’est une douce évidence, répétée sans ostentation d’album en album : la musique de Vic Chesnutt n’est pas pleine aux as. Elle est partie les poches crevées, elle finira sans le sou, ou presque. C’est entendu depuis le début et ça s’entend encore sur Myrtle, le premier morceau d’About to choke : là, une voix douce, vrillante au possible, s’appuie sur un piano tremblant et sur une guitare qui a la langue sèche. L’appât du gain et des belles étoffes, la quête avide de nouvelles terres : voilà un train d’ambitions que beaucoup se plairont à emprunter. Chesnutt, lui, est resté sur le quai. Volontairement. Il joue dans son coin et plutôt à l’économie. Pas par impuissance, pas par carence : derrière leurs petites boucles mélodiques, des beautés démaquillées comme Swelters ou Threads savent abriter de vraies richesses d’écriture. Pas par principe on n’est pas chez les fétichistes lo-fi. Si Chesnutt garde cette limpidité aride, c’est uniquement parce que c’est ainsi qu’il parle le mieux. Du coup, que Bob Mould officie aujourd’hui à la production de ce nouvel album importe peu. Steve Lillywhite ou Jean-Jacques Goldman pourraient bien être aux manettes, le chanteur d’Athens accoucherait toujours des mêmes épures et des mêmes eaux-fortes. About to choke tendrait d’ailleurs à prouver combien Is the actor happy , l’an passé, n’aura été pour lui qu’une incursion (réussie) dans le monde des chansons fignolées et des productions carrées. Retourné à ses increvables vieux moutons, à ses morceaux exécutés à main levée, Chesnutt prolonge cet éternel mystère : comment un type comme lui, avec sa belle voix rongée et son groupe sans esbroufe, parvient-il à régénérer un répertoire joué depuis le début, quasiment couru d’avance, où alternent chansons de perron (Tarragon, Hot seat), tranchantes scies folk-rock (Ladle, Giant sand), ballades au petit trot (New town) ? Peut-être en nous montrant mieux que jamais combien cette musique qui prône l’ascèse reste animée par une ardeur à fleur de peau et un appétit insatiable. Chesnutt se consume dans un brasier où les bonheurs du musicien et les déchirements de l’homme crépitent d’un même feu. Moins intraitable qu’auparavant, pacifié par moments, il s’autorise même une récréation Little vacation, sorte de Just a gigolo famélique et dégingandé, où un Bontempi fait office de big-band et rigole de toutes les touches de son clavier déchaussé. Ce qui n’empêche nullement le chanteur de réveiller les chairs de poule sur See you around, longue incantation finale, fièvre sèche et incandescente. Et c’est un plaisir d’entendre cette chienne de musique, au poil râpé et aux flancs hâves, maigre mais vorace, s’ébrouer dans ce dénouement assumé, jamais chialeur. Cette musique qui, avec l’âge, sait devenir débonnaire sans jamais perdre de son indocilité ni de ses envies de mordre.
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