La comédienne évoque le cinéaste qui l’a dirigée en 2010 dans Copie conforme, qui lui a valu le prix d’interprétation au Festival de Cannes.
“La première fois que j’ai rencontré Abbas Kiarostami, c’était lors d’une soirée organisée par l’Unesco durant laquelle je devais lui remettre un prix. Peu de temps auparavant, Catherine Deneuve lui avait remis la Palme d’or pour Le Goût de la cerise et l’avait embrassé. Lorsqu’il était rentré en Iran, il avait eu des problèmes parce que les autorités de son pays lui reprochaient de s’être laissé embrasser publiquement par une femme.
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Du coup, durant la préparation de la soirée de l’Unesco, on ne cessait de me dire : “Surtout ne l’embrasse pas.” Alors je suis montée sur scène avec un bouquet de fleurs, que je lui ai lancé en restant à plusieurs mètres de distance. Il a éclaté de rire et nous avons ensuite sympathisé.
Plus tard, j’ai eu le projet de réaliser un documentaire sur les rapports acteurs/cinéastes et je l’ai interviewé à cette fin. A l’issue de la rencontre, il m’a proposé de venir lui rendre visite à Téhéran. Ce que j’ai fait. Le soir de mon arrivée, il m’a raconté une longue histoire, complexe, et à la fin, il m’a demandé si je le croyais. J’ai dit que oui, bien sûr. Il m’a répondu : “Pourtant tout est faux.” (rires) Il était très facétieux.
Un découpage au plan près
Mais cette histoire inventée était celle de Copie conforme. Nous avons tourné le film quelque temps après dans les Pouilles. Il avait choisi de me filmer en Italie plutôt qu’en France parce que le climat, la sécheresse des terres, lui rappelaient les paysages iraniens auxquels son cinéma était tant attaché. Au bout d’une quinzaine de jours de répétitions, alors que le tournage n’était pas commencé, il m’a montré une VHS. C’était le film !
Il l’avait tourné avec le producteur, Charles Gillibert, dans le rôle principal masculin, sa traductrice dans mon rôle, tous deux en train de lire le scénario. Le découpage était déjà au plan près ce qu’il allait faire avec nous. Voir ce croquis de film était très éclairant. J’ai compris que la forme du film serait celle d’un entonnoir, qu’on partait de plans larges, d’espaces amples, pour terminer dans l’exiguïté de la salle de bains, comme si on finissait par regarder ce couple et son désir inassouvi à la loupe.
Il y a dans Copie conforme une scène de renversement où mon personnage s’adresse soudainement à l’homme dont on pensait qu’elle le connaissait à peine comme s’ils avaient vécu des années ensemble. Lors d’une prise, j’ai choisi de jouer la scène en riant et en pleurant à la fois. Il a été surpris, m’a dit que c’était très fort, mais peut-être trop.
Faire d’un branchage une clé
Lorsqu’il m’a montré un premier montage, j’ai découvert qu’il n’avait pas choisi cette prise. Etonnée, je lui ai demandé pourquoi. Il m’a dit que ça déséquilibrait l’ensemble, que l’affect était trop fort. Je lui ai dit que je trouvais ça intéressant justement et il m’a dit en riant que c’était toute la différence entre les hommes et les femmes. Nous serions toujours dans l’émotion alors que les hommes seraient du côté de la structure. Son goût de la rigueur n’était pas sans rapport avec celui de Bruno Dumont.
Quand je repense aujourd’hui à lui, une image me revient. Celle du portail de sa maison en Iran. Il y a devant une petite branche flexible, presque une brindille, dont il se servait avec beaucoup d’habileté pour défaire le loquet et entrer chez lui. Ça lui ressemblait beaucoup cette aptitude à s’emparer de ce qui se présente pour en faire quelque chose, faire d’un branchage une clé. Il m’avait appris à me servir de cette branche pour ouvrir la porte en me disant que désormais je pourrais entrer chez lui même en son absence.”
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