Ce premier long-métrage, issu de l’esprit bicéphale de deux frères, atteste avec férocité qu’une nouvelle garde du cinéma belge est là, libre, inattendue et déchaînée.
Le premier s’appelle Harpo – Guit, pas Marx ; le second s’appelle Lenny – rien à voir avec le film des frères Safdie. Pourtant, ces deux références patrimoniales semblent avoir influencé la destinée des deux frères, marqués depuis leur naissance du sceau du cinéma, et pas n’importe lequel : leur père Graham Guit est l’auteur de quatre films entre 1997 et 2008, dont la comédie western Le ciel est à nous avec Melvil Poupaud. Grâce à cette filiation, ils construisent une cinéphilie éclectique, composée de comédies italiennes des années 1970, de buddy movies américains des années 1990 et de films du Nouvel Hollywood (After Hours de Martin Scorsese pour ne citer que lui).
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Une chorale cacophonique
Dans Fils de plouc, les héros sont deux frères au nom improbable – Zabulon et Issachar, dont l’un est joué par un des frères –, et complètement débiles : leur quotidien est rythmé de défis à la Jackass, repoussant sans cesse les limites de la bêtise et de la survie, sous les yeux de leur mère effarée, qui s’insurge d’un « C’est de la merde ! » lorsqu’elle comprend le repas que les deux sont en train de cuisiner.
Déclaration inaugurale qui s’adresse tant au film qu’aux personnages, elle fait office de réplique matricielle qui trace une ligne forte et que les réalisateurs s’engagent à suivre à la lettre. Viendront se joindre à la mascarade une proxénète sans pitié, un amoureux obèse transi, un vigile testostéroné et un père (Mathieu Amalric) un poil hystérique, constituant une chorale cacophonique et chaotique.
Film de potes
C’est en diffusant des courts métrages et des parodies sur YouTube que le duo belge a commencé sa pratique filmique. L’un est entré en école de cinéma, l’autre au conservatoire de Bruxelles, et en sortant de ces cursus, chacun avait suffisamment de contacts et d’amis pour faire un film : une aide à la production pour les films à petit budget plus tard, et les voilà dans les rues de Bruxelles, parfois sans autorisation, à filmer les aventures d’Issachar, Zabulon et leur chien volatilisé Jacques-Janvier, dans un road trip urbain où l’on passe de mésaventure en tentative d’assassinat, de découverte hilarante en vol à main armée.
On sent l’ancrage d’un humour youtubesque à base de délires de potes, mais que la multitude de références et le fond moral assez noble des héros viennent dynamiter : au final, les deux frères veulent bien faire et parlent avec le cœur, dans cette fable sans queue ni tête qui donne envie que jamais ne s’arrête cette odyssée bruxelloise.
Inventivité formelle et narrative
C’est dans cet enchevêtrement en apparence bordélique, mais en réalité très bien agencé, que le film est le plus intelligent avec les règles qu’il s’impose : ne jamais redescendre, toujours tenir la barre de l’absurde et de la bêtise, avec une constance qui passe forcément par un déploiement d’inventivité formelle – des mise en abîme de plan rafistolées pour rajouter une réplique – et narrative – le vol de leur mère morte par une bande de SDF en guise de fin relève du brio. Cette éthique de la surenchère témoigne d’un amour pour le cinéma et la cascade de chutes, de cris, de rires : comme si le film prenait au sérieux le fait de tout envoyer valser, conventions morales et esthétiques.
Passé par plusieurs festivals belges et internationaux, le film, pourtant quasi invisible en France, sortira même aux États-Unis, sous le titre de Mother Schmuckers : dans l’Hexagone, il est disponible depuis novembre sur la plateforme OCS, qui l’a miraculeusement chopé au vol, pour le plaisir (et le dégoût) des spectateur·rices français.
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