Surf’s up. Pas de yakusas ni de Beat Takeshi à l’écran, mais des plans solaires, le silence de la mer, les flux d’amour invisibles. Un chef-d’oeuvre retrouvé du génial Kitano. Sun Tzu dit, article III de L’Art de la guerre, « Faites en sorte que la reddition de la place ne soit pas prolongée au-delà de […]
Surf’s up. Pas de yakusas ni de Beat Takeshi à l’écran, mais des plans solaires, le silence de la mer, les flux d’amour invisibles. Un chef-d’oeuvre retrouvé du génial Kitano.
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Sun Tzu dit, article III de L’Art de la guerre, « Faites en sorte que la reddition de la place ne soit pas prolongée au-delà de trois mois. » Entre l’hallali sonné en avril avec la sortie différée de Jugatsu (1990), l’offensive cannoise de L’Eté de Kikujiro et aujourd’hui le déploiement de A Scene at the sea (1991), il n’aura fallu que soixante jours à Takeshi Kitano pour venir à bout des dernières résistances déjà fortement ébranlées en 1997 par la bombe Hana-bi. En un feu nourri de splendeurs, ce cinéaste souverain a annexé tout un pan du cinéma mondial.
Aux arrière-lignes de son oeuvre, A Scene at the sea est un film qu’on a longtemps fantasmé. Les échos qui nous en parvenaient annonçaient un ton léger et limpide, une météorologie caressante et ensoleillée. Ils ne colportaient aucune fausse rumeur, mais avaient omis de nous préparer à une telle magnificence. Jumeau de celui qui ouvrait Jugatsu, le premier plan de A Scene at the sea est également un terrain de jeux, avec la glisse en lieu et place du baseball, et le silence de la mer plutôt que les bruissements du match. Sourd et muet, Shigeru découvre, lors de sa tournée d’éboueur, une planche de surf décapitée, un rebut baptisé Bunny Blue. Un bunny à qui il manque les oreilles, forcément un compagnon pour ce jeune homme rendu outsider par son handicap. Remodelée par ses soins, elle deviendra sa planche de salut, puis l’instrument de sa perte. Ça vous évoque Brian Wilson ? Pourquoi pas, un génie en appelle un autre.
Après avoir expérimenté, ennoblie d’une structure circulaire, la prolifération de fictions dégorgeant d’un Jugatsu porté à ébullition, Kitano retravaille l’intégration contrariée d’un semi-autiste dans un milieu étranger, en prenant à rebours les figures croisées de son film précédent. Sans crainte de se mettre à dos les spectateurs préalablement acquis, substituant l’aplat aux crêtes, il se lance dans la politique de la tabula rasa, asphyxie la violence, met en quarantaine flics et yakusas, lamine les saillies bouffonnes d’un Beat Takeshi abonné ici absent. Afin de prouver que le revers de la médaille qu’on lui a décernée est tout aussi lumineux, il opte pour une lente linéarité, fait dérouler son film telle une vague venant lécher le sable et affine en les simplifiant ses compositions.
De fait, A Scene at the sea reste à ce jour son opus le plus plastiquement maîtrisé, portant à un point de perfection la frontalité du cadre et les déplacements des personnages en son sein. Maintenant, ne pas croire que l’austérité est de mise. Au contraire, assister, éberlué et ravi, à un film solaire. On a tellement fustigé chez les autres les bons sentiments qu’on est bluffé de jubiler face à une plage où les différences s’accordent et l’harmonie se dessine. Si les surfeurs en combinaison fluo, témoins des efforts de Shigeru, distillent dans un premier temps leurs sarcasmes, ils ravalent rapidement leurs moqueries pour manifester une véritable empathie pour l’ex-paria. Et le film de s’auréoler en continu de ce sourire qu’arbore la petite amie de Shigeru, sourde-muette comme lui, devant l’accomplissement de son homme.
Enchanteur, ce lavis de sérénité zen n’en est pas moins un surprenant bouleversement de la part de Kitano. Pourtant, en sous-main, resurgissent les préoccupations de l’auteur. Des notes pointillistes viennent fustiger l’aliénation du travail, les rituels de soumission féminine, la difficulté de s’épanouir dans un credo hédoniste ou de parvenir à la réussite quand on est mal né. Tout maverick est voué au marquage au fer. Et l’amour partagé a le deuil pour inévitable corollaire. Avec quelques regards, un vêtement qu’on plie, un caillou lancé contre une vitre, une planche qu’on porte à deux, Kitano confirme ce que l’on savait depuis Hana-bi, à savoir que sans le moindre recours à la parole, il filme comme personne les flux d’amour échangés dans un couple. Mais aussi que tout cela finira mal. Et la mer de rejeter sur la rive une planche orpheline.
Pour autant, Kitano ne cède à aucune dramatisation, noie tout pathos. Un sourire se ravive sur le visage de la jeune fille, au diapason de l’évocation d’un furtif bonheur passé. Après avoir endigué les larmes, on se drape dans un épanouissement que peu de cinéastes sont capables de délivrer avec autant de grâce.
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