Dans une interview au quotidien espagnol “El País” ce mercredi 5 juillet, Xavier Dolan confiait vouloir arrêter de faire du cinéma. Pendant l’échange, le Canadien a confié “Je ne comprends pas à quoi ça sert de s’efforcer à raconter des histoires pendant que le monde s’écroule autour de nous”. L’édito du jour s’interroge : “À quoi sert l’art ?”
Si Xavier Dolan a pu confier souffrir que ses films ne rencontraient plus le même succès public qu’à ses débuts, qu’il éprouvait parfois le sentiment de donner des années de vie à des projets qui n’intéressaient plus grand monde, la fièvre commentative qui s’est emparée des réseaux sociaux à l’annonce de sa retraite prématurée dit en revanche que sa personne passionne toujours autant les gens. Beaucoup de gens, de toutes sortes : de nombreux fans, d’innombrables haters.
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Pour avoir beaucoup aimé certains films de Dolan (Les Amours imaginaires, Juste la fin du monde…), je ne m’explique pas ce déversement de haine, ces vannes faciles sur le mode “Enfin une bonne nouvelle !” déversées sur Twitter ou Insta. Pour avoir été moins convaincu par ses deux derniers longs métrages (Ma vie avec John F. Donovan, Matthias et Maxime, que j’aime bien tous les deux néanmoins), je comprends en quoi Xavier Dolan peut identifier chez lui une crise créative. Quelque chose ne coule plus de source, la prodigalité de l’inspiration est un peu tarie, il faut maintenant chercher, se déplacer, se réinventer… Ou tout simplement marquer une pause. Quoi qu’il en dise, Xavier Dolan ne peut pas être certain aujourd’hui de ne jamais revenir au cinéma. On souhaite, pour le cinéma et pour lui, qu’il retrouve un jour le chemin des plateaux. Et si ce n’était pas le cas, l’itinéraire, dans sa fulgurante combustion, aurait quelque chose d’irrésistiblement mythologique.
“L’art, à mes yeux, ne sera jamais utile”
“Qu’est-ce que l’art, Jean-Luc Godard ?”, demandait André Malraux dans un texte célèbre à la sortie de Pierrot le fou où il devisait sur la façon dont le cinéma de Godard incarnait aujourd’hui la plus contemporaine des formes de l’art. “À quoi sert l’art ?” est la question que formule aujourd’hui Dolan et qui pique au vif un monde dans un état paroxystique d’inquiétude. Dans un post Facebook par ailleurs très respectueux de la décision de Dolan, Bertrand Bonello s’inscrivait néanmoins en faux sur le sentiment d’inutilité de l’art que décrivait le cinéaste québécois face au désastre en cours. “Alors que le monde brûle comme il dit, le cinéma ne m’a jamais paru aussi essentiel”, répond Bonello. Sur son compte Insta, Dolan reprenait la parole samedi dernier pour apporter des précisions. En se défaussant derrière les problèmes de traduction, Dolan a réfuté avoir dit qu’il contemplerait la fin du monde et ajoute : “Je veux être clair : l’art, à mes yeux, ne sera jamais utile et ne constitue en rien une perte de temps.”
Quand bien même elle fut posée sur un malentendu, la question, celle de ce que peut l’art face à la déliquescence du monde, celle de sa nécessité, pour ceux qui le pratiquent et ceux qui en ont l’usage, est vraiment passionnante et n’a jamais aussi fortement résonner avec les préoccupations contemporaines. Elle permet à chacun (à commencer par Bonello, donc) de réinterroger les fondements de sa pratique et l’état de sa croyance dans la fonction de l’art. Faire les films qui y répondent, qui rendent limpide ce que peut l’art au cœur de l’incendie du monde, c’est le défi posé à tous les cinéastes exigeant·es. Et on espère que Dolan le relèvera à nouveau un jour
Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 12 juillet. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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