Face à la désillusion idéologique et à la mort qui rôde, Romain Goupil préfère la bandaison saine à la nostalgie pleurnicharde. Ludique et enlevé, son film trouve la bonne distance. A mort la mort ! est un jeu de collisions, mortelles et voluptueuses, autour d’un axe principal nommé Thomas. Il doit lutter contre la grande […]
Face à la désillusion idéologique et à la mort qui rôde, Romain Goupil préfère la bandaison saine à la nostalgie pleurnicharde. Ludique et enlevé, son film trouve la bonne distance.
A mort la mort ! est un jeu de collisions, mortelles et voluptueuses, autour d’un axe principal nommé Thomas. Il doit lutter contre la grande Faucheuse qui rôde dans son entourage direct, le ramène inlassablement dans les allées des cimetières, fait le décompte des années, prend à tout-va et sous tous prétextes, élague la vie autour de lui. Marié à la belle Hermeline (Marianne Denicourt), père d’une colonie d’enfants, Thomas double de Goupil, 47 ans, conjure cette dévastation active par une suractivité de sa libido. Il fuit les tombes fraîches pour les lits familiers et impromptus. Refusant toute entrave au contentement de ses désirs, tournant le dos aux frustrations inutiles, piétinant gaiement la morale judéo-chrétienne, il laisse libre cours à ses pulsions. Et que sa femme en fasse autant. Pour lui, la fidélité, en amour comme en amitié, se décline au pluriel. Tout comme ses espaces de vie son vaste et lumineux appartement où s’agite sa progéniture, l’obscurité intimiste et secrète de sa maison d’édition, ses diverses aires de rendez-vous qui se fractionnent à l’infini, selon ses envies.
Ergoteur enjôleur, la gent féminine ne lui résiste pas, que ce soit ses anciennes maîtresses, ex-camarades de lutte, qui continuent de lui ouvrir leur couche de façon régulière, ou ses nouvelles conquêtes du jour, toutes prennent place au sein de son cercle amoureux, rempart inconscient pour conjurer la mort. Thomas est toujours entre deux corps, deux lieux de vie, deux processions funèbres. Les crises cardiaques, les suicides, le sida, la came amputent le groupe uni depuis trente ans, qui se retrouve à présent plus souvent dans les cimetières et les hôpitaux que dans les manifs ou les cafés.
Mais le ton du film ne tombe jamais dans la caricature de la nostalgie post-soixante-huitarde, amère et pleurnicharde. Goupil coupe court à toute complaisance par un ton ludique et enlevé, une ironie libératrice, une distance juste avec lui et ce qu’il représente. La dimension mythique de leur aventure commune est sapée dès qu’elle pointe le nez, interrogée par la jeune Chiara ou regrettée par sa vieille copine Rosalie. L’ambiance générale n’est pas à la commémoration, mais plutôt à la raillerie malicieuse et à l’autodérision. Voir la scène où Thomas se retrouve kidnappé par ses amis dans une réunion de « militants anonymes », où chacun tente de se désintoxiquer de ses réflexes passés liés à son appartenance à un groupe et à sa dépendance politique. Le ton est à l’immédiateté des plaisirs, à l’urgence de les satisfaire, à la légèreté du moment présent. On fait ses comptes sans reniement. On pleure beaucoup, on meurt beaucoup, et l’on baise tout autant.
Entre les enterrements où s’élève la voix entêtante de Brigitte Fontaine, le sexe, et la vie qui continue, Goupil a introduit Fenec, électron s’étant détaché du groupe pour cause de mauvaise conscience revancharde, personnage hagard qui a perdu pied et élément perturbateur. Atteint d’une fixette névrotique qui le pousse à épier ses amis, il les harcèle à coups de messages téléphoniques menaçants et de slogans de 68 sur Post-it dont il recouvre les façades de leurs immeubles. Comme Thomas le personnage qu’il incarne, gambadant d’un bras à un autre, Goupil réalisateur pratique l’entrechat, laissant son récit digresser au fil de son imagination, et se transformer en tableaux fantasmagoriques. Avec liberté et spontanéité, il réussit un savoureux mélange, plein de vitalité, de tendresse et d’humour, fait d’écarts et de variations autour de l’amour, de l’amitié, de la perte. Avec ce film, il clôt un triptyque commencé par Mourir à trente ans, et poursuivi parLettre pour L…, trois déclinaisons de la mort. La dernière scène, qui réunit une foule d’amis perchés aux balcons qu’il avait conviés pour l’occasion, renvoie d’ailleurs aux premières images de Mourir à trente ans, avec ses plans dans la cour d’immeuble. A mort la mort ! est un vrai bordel jouissif, une farce immunisante.