La connaissance de son corps donne-t-elle accès à la connaissance de l’univers ? La jouissance absolue ouvre-t-elle sur la science ? Une fable folle et troublante.
Dans une ville de province, Sandrine (Carole Brana), une jeune femme très jolie souffrant d’insatisfaction sexuelle, se masturbe dans son canapé. Son compagnon (Jocelyn Quivrin) la surprend, s’offusque. La mère de Sandrine explique un peu plus tard à sa fille que ces choses-là se font en cachette, qu’elle finira pas aimer son mari, elle verra. Dans un café, la jeune femme rencontre un étudiant en psychiatrie (Arnaud Binard) qui lui explique ce qu’est la psychanalyse. Ils couchent ensemble, elle prend son pied, Sandrine raconte tout à son copain, ils se séparent. Régulièrement, la jeune fille retrouve un chauffeur de taxi (Etienne Chicot) sur le banc d’un jardin public : il lui raconte les mystères de l’univers… Un jour, l’étudiant lui présente l’une de ses conquêtes, puis ils passent une soirée sympathique avec quelques pratiquants sadomasochistes qui les initient. De fil en aiguille, les jeunes femmes vont demander au beau psy de les hypnotiser : elles veulent désormais connaître en même temps l’extase sexuelle et l’extase mystique. Y parviendront-elles ?
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Le cinéma de Brisseau est un cinéma candide, sans cynisme aucun. A l’aventure, présenté par son auteur comme un film plus modeste que les précédents (Choses secrètes, Les Anges exterminateurs), n’échappe pas à la règle. Drôle d’objet en somme, que ce mélange détonant entre le plaisir sexuel, l’extase mystique, entre la psychanalyse et le romanesque, entre la science et le fantastique, le tout raconté d’un ton détaché, presque objectif, non concerné. Brisseau met en scène le monde comme un romancier un peu positiviste de la fin du XIXe siècle (Conan Doyle, Jules Verne) ou comme un enfant qui trouverait tout magique : voyez la scène où le beau psychiatre de roman Harlequin explique à une Sandrine, quand même pas très au fait des nouveautés scientifiques de 2008, ce qu’est “la psychanalyse, au juste”. Son exposé, fort scolaire, est aussi simpliste et incomplet que celui qu’aurait pu donner un émule de Freud en 1910. Quand, plus tard, au lit, le psy expliquera à sa conquête qu’il s’appelle Grégory parce que sa mère admirait Gregory Peck, “une star de cinéma des années 50”, on a envie de sourire une nouvelle fois. Mais c’est aussi ce qui fait le charme et la bizarrerie de ce cinéma faussement naïf qui vous capte dès les premiers plans. Un fantasme habite le cinéma de Brisseau depuis ses débuts : celui d’une femme qui se masturbe (une image quasiment balthusienne), dont l’orgasme est tellement fort (chez Brisseau, il est souvent répété que l’extase féminine est nettement plus intense que l’extase masculine) qu’il ouvre non seulement une porte sur la libération des sens, mais aussi celle de la connaissance scientifique. Cette seule idée irrigue son cinéma comme la volonté de domination masculine (une volonté à la fois honnie et excitante) habite tout le cinéma de Catherine Breillat. Idée folle (d’où vient-elle ? peu importe, nous ne sommes pas psy), mais idée poétique. Car la force de Brisseau, c’est de la transformer à la fois en spectacle et en utopie.
Son génie malaisant réside dans la forme classique qu’il donne à son cinéma, dans sa volonté de mettre en forme les corps de ses actrices (sublimes, il faut le dire), dans les ballets qu’elles proposent (ces scènes de masturbation haletantes et endiablées). Brisseau filme au plus direct (personnage au centre de l’écran), dans un style très sobre presque impersonnel, sans effet, donc sans jugement sur le comportement de ses personnages, sans commentaire personnel. Plus qu’à Hitchcock, au fond, il fait penser à Tourneur : exiger du hors-champ ce qu’il ne sait filmer – l’exhibition systématique du sexe féminin étant une façon de ne pas montrer l’érection masculine, toujours tue, cachée et angoissante.
Le film semble vouloir nous entraîner dans un rêve d’ailleurs. Mais un très beau personnage, celui de Mina, explique qu’elle a trouvé le bonheur en annihilant son moi. Il en est de même pour le cinéma de Brisseau : c’est quand il disparaît derrière ses personnages qu’il les filme le mieux. Et c’en est troublant et bouleversant.
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