Une hôtesse de l’air traverse de grosses turbulences. Un film d’une grande force, où se déploie le talent dévastateur de Jeanne Balibar.
Puisque, depuis la mort de Jean-Claude Biette et le retrait de la réalisation de Jacques Rivette, le cinéma français ne veut plus lui offrir (en dehors de Pierre Léon dans L’Idiot) d’autres rôles que ceux de fofolles snobs – qu’elle incarne d’ailleurs à merveille (Sagan ou La Fille de Monaco) – on finissait par désespérer de l’aveuglement d’une profession tout entière, de son incapacité à savoir quoi faire d’un grand fauve, d’une actrice hors norme comme Jeanne Balibar, LA Balibar. L’air du temps n’était-il plus aux femmes libres ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Une jeune cinéaste d’origine sud-africaine, formée au cinéma à Berlin, relève le défi, et de belle manière, dans ce deuxième film (en compétition à Locarno en 2010) sous influence antonionienne – comme beaucoup de films allemands de la “jeune” génération.
Ellen (Balibar) est hôtesse de l’air depuis bientôt vingt ans. Au retour de l’un de ses voyages, Florian, son amoureux, lui apprend que sa maîtresse attend un enfant de lui. Métaphore évidente : le monde pourtant instable d’Ellen (les avions) se met à vaciller.
De fait, elle semblait être la seule à le trouver plutôt solide, ce monde froid dans lequel elle évolue. A son âge, Ellen va tout laisser tomber sans qu’on ressente vraiment l’impression (le film évite la psychologie avec une réelle grâce) qu’elle prend une décision, mais que son inconscient travaille pour elle (après avoir quitté un avion, prise de panique, juste avant le décollage, elle se fait sèchement virer de sa compagnie aérienne).
Une image va la poursuivre : celle d’un félin perdu sur une piste de décollage d’Afrique. Malgré le talent des autres interprètes, A l’âge d’Ellen tient de bout en bout sur Jeanne Balibar (si vous êtes fans, précipitez-vous). Elle y déploie, dans une langue allemande qu’elle parle couramment, une palette de jeu élargie et nouvelle, loin de tous ces tics auxquels la cantonnent souvent les Français (voix grave, yeux sur le côté, sourire malicieux).
Ici, tout en jouant de toutes les intonations de sa voix singulière, elle se tient le plus souvent en retrait par rapport à son personnage et aux autres acteurs, jouant comme à corps perdu de ses cheveux, de ses costumes, de sa nudité, de son menton qui tremble, avec une sobriété et une sauvagerie retenue de bout en bout magnifique.
Ellen va se laisser porter par le hasard, rencontrer d’abord des voyageurs qui, comme elle, essaient de se satisfaire de leur vie sans repères (nuits de partouzes glauques dans des hôtels impersonnels), sans qu’Ellen n’y trouve son compte. Et puis, par hasard, elle fait la connaissance d’un groupe de militants altermondialistes végétaliens qui vivent en communauté et militent activement, par des interventions musclées, contre l’industrie agroalimentaire et l’exploitation des animaux.
Là encore, Ellen va participer à leurs activités, mais sans jamais sembler y adhérer réellement, et un peu par amour pour l’un des militants, Karl (mais s’agit-il bien d’amour). Il y a en elle du Wanda de Barbara Loden.
Toujours au centre du film, le monde tourne autour d’Ellen, qui cherche en vain de nouveaux repères. Et si l’on songe aux personnages flottants et perdus d’Antonioni, on ne peut s’empêcher de penser aussi aux errances d’Ingrid Bergman dans l’Italie détruite de Rossellini : chez elle nulle part.
A la fin du film, Ellen se fond enfin dans un nouveau décor, cette fois-ci par choix. Un aveu : nous étions prêts à la suivre encore pendant des heures.
{"type":"Banniere-Basse"}