Une surcharge de travail pré-cannois ne nous ayant pas permis de voir le film, rendons donc hommage à l’affiche. Une rivière, une barque, un arrière-fond de campagne, deux vedettes avenantes: nous sommes bien dans un film 100% français, dont rien n’indique s’il se déroule aujourd’hui ou au temps de Michou d’Auber, à savoir une France […]
Une surcharge de travail pré-cannois ne nous ayant pas permis de voir le film, rendons donc hommage à l’affiche. Une rivière, une barque, un arrière-fond de campagne, deux vedettes avenantes: nous sommes bien dans un film 100% français, dont rien n’indique s’il se déroule aujourd’hui ou au temps de Michou d’Auber, à savoir une France des années 50 qu’on continuerait à filmer et raconter comme dans les années 50. Cette assurance de produit de terroir altéré par 0 % de modernité est d’ailleurs immédiatement avérée par le label en dessous du titre : “Le nouveau film de Jean Becker”. Dialogue avec mon jardinier est donc le cadet d’une lignée de films patelins signés Jean Becker, une sorte d’Enfants du marais 2, au même goût de vin rouge et de pâté de campagne. Le signifiant Becker renvoie immédiatement à la plus haute dignité patrimoniale (le père, Jacques, cinéaste brillant des années 40 et 50, dont l’œuvre est pourtant aux antipodes de ce cinéma de restauration), “Louis Becker présente”, en haut de l’affiche, signale aussi la présence du fils, Louis, producteur. Du cinéma de papa, transmis de père en fils donc, une “maison” en quelque sorte. Le titre laisse deviner l’histoire. Un jardinier, un article possessif qui dit l’ascendance hiérarchique, mais du dialogue aussi, parce que ça circule entre les classes, à la Renoir. Nulle hésitation sur qui fait le jardinier : la chemise à carreaux rentrée dans le bleu de travail de Darroussin parle pour lui, tandis que la chemise par-dessus le pantalon (façon bobo des champs) et le chapeau à la Matisse de Daniel Auteuil posent son châtelain. Darroussin en grand bourgeois et Auteuil en prolo semblent de toute façon un contre-casting inimaginable par ce cinéma. Mais en quoi consiste un dialogue avec son jardinier dans un cinéma français pas encore remis du dialogue avec son garde-chasse de Lady Chatterley ? Ces deux hommes communient autour d’un drôle d’objet transitionnel entortillé dans une épuisette (histoire de noyer le poisson ?), et on se prend à rêver d’un remake gay de D. H. Lawrence, Auteuil dansant nu sous la pluie après que Darroussin l’eut amoureusement paré de boutons de jonquilles dans quelques cavités stratégiques de son corps. Mais la baseline sur l’affiche nous arrête net : “Un ami d’enfance, ça ne s’oublie jamais”. Bon, OK, ils ne sont qu’amis. Et d’enfance, car rien ne vaut le passé, les racines… Les douze ans de présidence chiraquienne ont correspondu à la refloraison de ce cinéma champêtre qui, d’“hirondelle qui fait le printemps” en “choristes” en culottes courtes, exhalait cette France de la IVe République. La France de Sarkozy, avide de management à l’américaine et d’accélération libérale, voudra-t-elle encore se rassurer avec ces désuètes vignettes ? Le box-office dira si ce Dialogue avec mon jardinier a viré au dialogue de sourds.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}