Tiré d’un court roman de Don DeLillo, un film sur la douleur de la perte, comme une mélopée obstinée sur un revenant qui ne cesse de revenir.
Dans un monde qui n’existe plus, Benoît Jacquot aurait été un cinéaste de studio, sous contrat à vie. C’est pourquoi il passe sous une fausse apparence de diversité d’un style de cinéma à un autre, d’une économie à une autre surtout, dans un désordre qui a quand même toujours pour clé de voûte le désir – sexuel, amoureux, littéraire, cinématographique. Jacquot est un auteur, donc un obsédé, un entêté.
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A jamais est un pur film de commande à la Paulo Branco (le plus grand producteur portugais) quand il est pressé (comme souvent) : un roman court et saisissant de Don DeLillo, Body Art, dont il possède les droits (il avait déjà produit une adaptation de Cosmopolis par David Cronenberg), un budget qu’on devine restreint, donc des techniciens proches de Jacquot pour aller vite, des acteurs amis (Amalric et Balibar), un décor principal qui servira beaucoup (une belle villa au Portugal) et une scénariste-actrice-amante comme Jacquot les a toujours aimées (Julia Roy). La caravane cinéma peut s’ébranler. Pour un film vif, enlevé, sans gras, sec.
Rey meurt, un soir de désespoir
A jamais raconte l’histoire d’un cinéaste, Rey (Mathieu Amalric), qui abandonne soudain sa compagne et actrice fétiche Isabelle (Jeanne Balibar) pour une jeune femme artiste-performeuse, Laura (Julia Roy). Mais le cinéaste ne va pas bien, le couple bat très vite de l’aile, leurs dialogues se perdent en babillements insipides, ennuyés et insensés (très belles scènes).
Et puis, parfois, des bruits étranges qui viennent du grenier. Mais le bois craque toujours, c’est bien connu. Or Rey meurt, un soir de désespoir, après avoir fait une dernière fois l’amour avec Isabelle, en lançant sa moto contre l’arrière d’un camion. Ellipse. Laura est désormais seule dans la villa. Le grenier craque toujours. Un fantôme vient à sa rencontre : c’est Rey, hagard.
Une fois de plus, A jamais n’est pas un film à grand spectacle. C’est le petit théâtre intime d’un être humain qui va, grâce à un fantôme (un fantasme), peu à peu se faire à l’idée que l’autre ne sera jamais plus (faire son deuil, disait-on naguère, trivialement).
Comme une mélopée obstinée qui ressasse les mêmes images
“C’est au-delà de la solitude”, avoue Laura quand on lui demande ce dont elle souffre. Les rencontres avec le revenant sont charnelles, doubles, la renvoyant à elle-même, à l’idée qu’on ne fait peut-être l’amour qu’avec l’image de soi-même, que c’est aussi par son propre corps tout entier qu’on peut oublier l’aimé.
Le film répète souvent les mêmes scènes (au risque d’ennuyer, mais ce n’est heureusement pas le cas de la mise en scène), parce que par définition un film de revenant doit revenir. Sans cesse au même. Comme une mélopée obstinée qui ressasse les mêmes images. Pour les épuiser. Comme dans une performance, un spectacle rejoué chaque soir, une sublimation perpétuée de la douleur, semblable à celui performé par Laura à la fin. A jamais est un film simple dans son intimisme, sans sophistication dans sa fabrication mais juste, percutant, plein d’acuité, et fort.
A jamais de Benoît Jacquot (Fr., Port., 2016, 1 h 30)
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