Cette deuxième réalisation d’un grand scénariste portugais tisse avec subtilité affects familiaux et nationaux dans un beau film atmosphérique.
Le Portugal se ferait-il une spécialité des cinéastes d’un certain âge ? Après le centenaire Oliveira, voilà Carlos Saboga, jeune cinéaste de 79 ans. On l’a connu comme scénariste des splendides Mystères de Lisbonne et autres Lignes de Wellington, puis avec Photo, son premier film de réalisateur, à la fois beau et un brin scolaire.
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A Une heure incertaine est donc son deuxième film et c’est un bijou de précision et de concision, le pendant filmique d’une nouvelle. L’action se passe à Lisbonne en 1942, pendant la dictature de Salazar mais à l’écart du conflit mondial qui fait rage en Europe : contre l’avis de son suspicieux collègue, l’inspecteur Vargas cache chez lui un couple de réfugiés français (et sans doute juifs) parce qu’il en pince pour la femme.
Ce “chez lui” est un hôtel désert, où vivent aussi son épouse clouée au lit par la maladie et sa fille en pleine crise œdipienne et hormonale (sa lecture de la Bible comme roman érotique est absolument délicieuse). Cette dernière sent la présence des deux réfugiés, en conçoit de la jalousie et voudrait les faire disparaître… Saboga fait exister ce huis clos avec une belle intensité romanesque et un vrai sens des puissances nues du cinéma : volets clos, couloirs vides, pièces sombres et inoccupées, monde extérieur qui ne parvient que par la lumière du jardin ou les discours de Salazar à la radio…
La marmite des névroses familiales
A Une heure incertaine est un film atmosphérique, un petit traité sur l’ennui, l’oisiveté, l’enfermement, la marmite des névroses familiales qui chauffe à feu doux. Ces affects familiaux déviants sont aussi ceux du pays, lui-même enfermé à l’écart de la fureur du monde. Le motif des réfugiés et de la frontière résonne évidemment au présent et l’un des aspects les plus puissants du film est sa charge politique en sourdine, quand Saboga nous fait entendre les authentiques discours de Salazar sur l’unité nationale et la protection du peuple : la ressemblance avec ceux de François Hollande est pour le moins troublante.
Avec un minimum de moyens, Saboga fait vivre tout un monde de pulsions refoulées et prêtes à exploser, tout un univers riche de tensions multiples, érotiques, affectives ou politiques. Il est parfaitement servi par des acteurs superbes, à commencer par la brûlante Joanna Ribeiro et le très charismatique Paulo Pires. A Une heure incertaine combine le classicisme élégant d’un Oliveira, la fulgurance d’une série B et la richesse de sens d’un roman. Pas mal pour un p’tit jeune.
A une heure incertaine de Carlos Saboga (Por., 2016, 1h15)
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