Dans un contexte politique tendu, deux comédies bon-enfant qui défendent des valeurs humanistes et optimistes remportent un succès mérité au box-office.
Qu’est-ce qui fait que je les aime bien, ces deux comédies grand-public un peu mal fichues, qui surfent souvent sur les blagues faciles et les bons sentiments ? Tout simplement qu’elles sont sympathiques. Loin d’être des chefs d’oeuvre, elles mettent un peu de baume au coeur en véhiculant une vision positive de l’humanité. Et par moments, elles ne manquent pas d’inspiration.
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L’Ascension de Ludovic Bernard, sorti ce mercredi, et Il a déjà tes yeux de Lucien Jean-Baptiste, sorti le 18 janvier, ont déjà un point commun, élargissant le spectre souvent étroit des représentations majoritaires du cinéma français : les personnages principaux des deux films sont noirs. Banal ? Certes, Omar Sy est devenu l’un des acteurs préférés des Français, mais c’est un peu l’arbre qui cache la forêt.
Clichés et histoire vraie
Le héros de L’Ascension, Samy (Ahmed Sylla, jeune humoriste découvert par Laurent Ruquier), est d’origine sénégalaise. Il vit en banlieue (avec tous ses clichés, comme ses trois potes un peu débiles qui passent leurs journées dans leur bagnole) et chez ses parents (père : chauffeur de taxi adorable, mère : de famille pas commode). Il décide un jour, sur un coup de tête, pour prouver son amour à la fille qu’il kiffe, Nadia (Alice Belaïdi) mais aussi pour montrer que les jeunes de banlieue ont du courage, de gravir l’Everest. Comme ça. Il se débrouille pour se trouver de sponsors, dont une radio locale. Et le voici parti avec son sac à dos pour aller sur le toit du monde, sans aucune expérience de la montagne… (Le film est très lointainement inspiré d’une histoire vraie)
Paul (Lucien Jean-Baptiste) et Sali (Aïssa Maïga), sont mariés, tiennent un magasin de fleurs et viennent d’acheter un petit pavillon de banlieue qu’ils sont en train de retaper avec leur copain Manu (Vincent Elbaz, qui s’est enlaidi pour le rôle, est désopilant en personnage de loser). Un jour, ils reçoivent le coup de téléphone des services sociaux qu’il attendaient depuis des années : leur demande d’adoption est acceptée (Sali ne paut pas avoir d’enfants). Mais voilà, dans le cadre dune expérimentation (?), ils vont devenir les parents d’un nourrisson blanc, Benjamin.
Se moquer de nos habitudes, sans agressivité
Étonnés mais pas racistes, Paul et Sali acceptent et se révèlent tout de suite des parents aimants et attentifs. Manu va devenir parrain, il n’en peut plus, tout va bien. Seulement cet événement va déclencher des passions diverses, comme celle de la méchante Mme Mallet, des services d’adoption – jouée par Zabou Breitman qui semble s’être déguisée en Isabelle Adjani – qui est violemment opposée à cette expérience et qui va tout faire pour mettre des bâtons dans les roues de Paul et Sali. Mais cette adoption va aussi entraîner des quiproquos et des réactions de rejet, d’abord du côté de la famille de Sali. Et c’est là que le film se montre le plus intéressant.
Lucien Jean-Baptiste (déjà auteur de deux films, dont La première étoile, très drôle) va débusquer gentiment et souvent avec une certaine habileté les réflexes convenus des uns et des autres, se moquer de nos habitudes. Partout où Sali se rend avec Benjamin (dans un restaurant, chez le médecin), le premier réflexe de ses interlocuteurs est de considérer qu’elle est une nounou et non pas la mère du bébé. Mais Jean-Baptiste ne donne jamais de leçon morale, il se contente de mettre en scène, de montrer les choses sans agressivité aucune, et c’est bien suffisant – et souvent drôle.
Il montre aussi le racisme chez et entre les noirs. Paul est martiniquais et Sali est d’origine malienne. On apprendra très vite qu’il n’est pas tout à fait accepté par ses beaux-parents. Surtout, l’arrivée de Benjamin va être un choc pour le père de Sami, qui est musulman, et qui va refuser de le reconnaître comme son petit-fils.
Samy, lui, commence à grimper vers l’Everest. Dès les premières marches et surtout les premières séances d’escalade, les autres alpinistes, des blancs venus des quatre coins du monde, bien plus expérimentés que lui, cessent de le prendre au sérieux.
Ce que montre de plus intéressant le film de Ludovic Bernard n’est finalement pas tellement l’exploit de Samy, ni sa romance avec Nadia, ni même ses interventions à la radio ou le fait qu’il va devenir une petite vedette des médias en France. De façon assez inattendue, c’est la partie presque documentaire du film qui est la plus passionnante et drôle. Le film décrit sans insister le marché que représente aujourd’hui le commerce de la montagne au Népal. Tout est ultra-organisé. Cette montagne, dans le film, est pleine d’Occidentaux qui viennent accomplir un exploit. Certains montent, d’autres redescendent. Certains réussissent à atteindre les presque 8900 mètres, d’autres échouent.
Demystification de la montagne
Mais les sherpas népalais se marrent, passent leur temps à galoper dans tous les sens sans un regard pour les riches occidentaux. Ils devancent les alpinistes pour porter leurs sacs au camp de base suivant, puis redescendent les chercher pour les aider à monter. A un moment Samy, épuisé, regarde, ébahi, un Népalais marcher avec un réfrigérateur sur le dos… Nous sommes dans une fiction, tout cela est peut-être faux, on se croirait un peu dans un nouvel épisode d’Astérix, mais la charge est terrible, démystifie totalement l’idée d’exploit sportif, on est soudain très loin de la « magie » religieuse des hautes montagnes, etc.
Pour être honnête, la fin des deux films est un peu ratée. Les auteurs ont du mal à faire tomber leur récit sur ses pieds, alors ils glissent dans la facilité. La beauté de la nature et le mythe du héros retrouvent soudain de la vigueur dans L’ascension. Dans Il a déjà tes yeux, après une course-poursuite spectaculaire et bidonnante dans un hôpital, la méchante Mme Mallet devient soudain gentille sans qu’on comprenne pourquoi. Et tout est bien qui finit bien un peu trop facilement (même si Lucien Jean-Baptiste conclut par un gag pied-de-nez qui prouve que rien n’est jamais gagné…).
La vision d’un pays fraternel
Mais les deux films procurent une émotion assez intense, peut-être parce que nous vivons une période où beaucoup d’individus (politiques, pseudo-penseurs, journalistes) veulent nous amener à regarder la France comme une terre de conflits, où tout le monde devrait détester tout le monde. Alors que L’Ascension et Il a déjà tes yeux rêvent peut-être, mais ils rêvent en tout cas d’un pays fraternel. Que devons-nous préférer : les clichés méchants qui nous veulent du mal ou les clichés gentils qui nous font rire ?
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