L’édito de Jean-Marc Lalanne
Cannes, une maladie française ? C’est en ces termes que certains professionnels éminents du cinéma français parlent du Festival. Une métaphore qui a sûrement un effet de vérité, mais qui a contrario prouve le très performant état de santé du Festival. Cannes a à ce point distancé ses concurrents (les autres festivals dits de catégorie A, Berlin, Locarno, Venise…) qu’il conditionne tout le métabolisme du cinéma français ayant un tant soit peu d’ambition artistique. On tourne désormais pour être prêt pour Cannes, les labos de postproduction explosent leur chiffre d’affaires fin avril début mai, l’agenda de production et de distribution est régi par celui du Festival. C’est cet état de dépendance (sûrement un peu déliré) que raconte l’enquête de Romain Blondeau.
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De tels pouvoirs génèrent sans nul doute de grandes responsabilités, comme on dit dans Spider-Man. Celle de la Sélection officielle est particulièrement cruciale. Les choix de son délégué général, Thierry Frémaux, ont, cette année, été discutés parce que certains des cinéastes les plus prisés par la sphère de la cinéphilie planétaire n’ont pas été retenus en compétition. La plupart des films (ceux qui ont été retenus, ceux qui ont été écartés) n’ayant pas été vus, il est trop tôt pour se faire un avis tranché sur le bien-fondé de ces arbitrages.
Mais l’effet boomerang de ces décisions de sélections inattendues est de rendre les autres sections particulièrement attractives sur le papier. Certes, la compétition comporte toujours son lot de très grandes signatures (Hou Hsiao-hsien, Jia Zhangke, Gus Van Sant, Todd Haynes…). Mais des cinéastes aussi fascinants qu’Apichatpong Weerasethakul, Naomi Kawase ou Kiyoshi Kurosawa peuplent Un certain regard. La Quinzaine des réalisateurs aligne des noms aussi aimantants que Philippe Garrel, Arnaud Desplechin, Miguel Gomes (l’auteur du génial Tabou) ou la première réalisation de Thomas Bidegain, scénariste prisé de Jacques Audiard et du Saint Laurent de Bertrand Bonello. La Semaine de la critique, spécialisée dans les premiers et seconds films, propose la deuxième œuvre d’Elie Wajeman (auteur du remarqué Alyah), avec Adèle Exarchopoulos et Tahar Rahim, et le premier long métrage de Louis Garrel. Même la section outsider de l’Acid a prouvé les années passées, avec des films aussi réussis que La Bataille de Solférino ou Mercuriales, qu’elle méritait la plus grande attention. De fait, on y découvrira cette année le nouveau film de Patrick Wang, repéré l’an dernier avec le très beau In the Family.
Des partis pris assez fermes
La montée en puissance de Cannes, tendant à devenir monopolistique avec le temps, profite donc à toutes les sections. Et si, certaines années, on a pu avoir l’impression que la Sélection officielle, proliférante et tapant dans toutes les directions, visait à assécher les sections parallèles, le recentrement sur des partis pris assez fermes (l’un d’eux, même si le délégué général le dément, étant la valorisation d’un cinéma d’observation politique et sociale) profite à l’ensemble du Festival, génère un écosystème ample et divers.
Dans les derniers jours précédant le Festival, une nouvelle annonce, particulièrement réjouissante, est tombée : une Palme d’or d’honneur sera remise cette année à Agnès Varda. La récompense est d’autant plus prestigieuse qu’elle n’est pas souvent décernée. Seuls trois cinéastes l’ont déjà obtenue : Woody Allen en 2002, Clint Eastwood en 2009 et Bernardo Bertolucci en 2011. L’œuvre d’Agnès Varda a ceci de précieux que, sur les six décennies qu’elle recouvre, elle n’a cessé de déplacer la définition de ce qu’était un film. En brouillant les frontières entre documentaire et fiction. En multipliant les supports (pellicule, numérique – dont elle fut une pionnière) et les formats (l’œuvre est un archipel entre courts, parfois très courts, moyens et longs métrages). En organisant même sa sortie du champ du cinéma vers les contrées transversales des galeries, musées, installations. En abolissant les hiérarchies entre mineur et majeur. Interroger sans répit l’idée de ce qu’est un film, ouvrir à tous vents les portes et fenêtres de la maison cinéma : on ne saurait rien attendre de plus impérieux de cette prochaine édition cannoise.
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