Une plongée chaotique dans le psychisme houleux d’un enfant battu devenu un tueur à gages traqué et vengeur. Avec un Joaquin Phoenix fascinant.
Renommé “A Beautiful Day” par son distributeur français, le film de Lynne Ramsay, rentré de Cannes avec deux trophées (meilleur scénario et meilleure interprétation masculine pour Joaquin Phoenix), y portait le titre plus élégant mais plus complexe, You Were Never Really Here. Si on le précise, c’est que ce titre, “tu n’étais jamais vraiment là”, offre une clé interprétative que l’ironique “une belle journée” néglige : la question, centrale, de la présence.
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Adaptant un roman de Jonathan Ames, Lynne Ramsay (réalisatrice de Ratcatcher, We Need to Talk about Kevin) se met ici au service de cette idée et du comédien chargé de l’incarner : Joaquin Phoenix, donc. Lequel réussit, comme dans la plupart de ses (bons) films, à être et à ne pas être là, en même temps. Qu’est-ce à dire ? Tout est dans le “really”, le “vraiment” : la caméra a beau s’intéresser à lui comme rarement, le filmant sous tous les angles, s’attardant sur son poitrail, son visage, ses cicatrices, ses yeux – et sa voix, enfantine et très légèrement éraillée qui dit une certaine gêne d’être au monde –, malgré ces signaux de présence, quelque chose lui échappe. C’est qu’au fond le jeu de Phoenix ne vise qu’une chose : disparaître de soi-même. Et plus il le fait, plus nous le voyons et l’aimons, encore et encore.
Lorsque le film commence, son personnage est comme mort. Etouffé lui-même dans un sac plastique, une forme de suicide dont on apprendra qu’il la répète (et la rate) depuis l’enfance. Celle-ci n’a pas toujours été rose (père violent), et ça ne va pas beaucoup mieux depuis qu’il est adulte (nation violente). Enfant battu, soldat traumatisé, flic écœuré, aujourd’hui tueur à gages traqué, donnant dans l’exécution de pédophiles à coups de marteau – et vivant toujours chez maman : c’est le bagage pas léger léger avec lequel doit se débrouiller Joaquin Phoenix.
Consciente de la gageure, Lynne Ramsay déjoue les pièges de son scénario par un montage heurté, quasi chaotique (qui aurait, de fait, mérité un prix s’il existait à Cannes), privilégiant le sensitif au narratif, le temps mort à l’action, et convoquant la mémoire d’autres films (Taxi Driver, Psychose, La Nuit du chasseur, Two Lovers) comme autant de balises auxquelles peut se raccrocher Phoenix, âme damnée qu’on ne se lassera jamais de voir flotter au-dessus des vivants.
A Beautiful Day de Lynne Ramsay (G.-B., Fr., E.-U., 2017, 1 h 25)
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