Avant “Red Rocket” de Sean Baker, en salles cette semaine, Simon Rex aurait commencé sa carrière dans le porno. Une anecdote exagérée, mais l’occasion de revenir sur les exemples célèbres de cette reconversion pas si rare.
C’est une petite chanson que l’on entend beaucoup depuis la présentation à Cannes de Red Rocket, le nouveau film de Sean Baker : son acteur principal, Simon Rex, qui tient dans le film le rôle d’un acteur porno en déroute, aurait lui-même démarré dans le porno. L’anecdote n’est pas fausse, mais tout de même très surfaite. En 1993, Simon Rex a 19 ans, il est très beau, et il a besoin d’argent. Voyant passer une annonce, il accepte une séance de nu pour un photographe de Los Angeles, Brad Posey. Un an plus tard, il est recontacté par le studio : cette fois, c’est pour qu’on le filme. Trois scènes de masturbation solo se retrouveront dans des films destinés au marché de la vidéo porno gay, sortis en 1994 et en partie réexploités en 2000. Fin de l’histoire.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Mais si vous cherchez des stars de cinéma mainstream qui ont significativement travaillé dans le X, ne partez pas tout de suite.
Marilyn Chambers dans Rage de David Cronenberg (1977)
Icône de la première génération, elle doit sa célébrité à un classique du porno chic, Derrière la porte verte (1972), dont le stylisme à la limite du psychédélique lui vaudra une diffusion à Cannes. Elle fait ensuite plusieurs tentatives avortées de cinéma mainstream, pour Nicholas Ray (qui l’adore, mais mourra avant de concrétiser un projet), Jack Nicholson, ou Hardcore dont le directeur de casting la jugera trop “saine” (“wholesome”) pour incarner une actrice porno, cliché qu’elle ne se gênera pas de déplorer publiquement. Ce sera finalement Rage, quatrième long de David Cronenberg, qui la choisit sans arrière-pensée et ne joue pas sur son image sulfureuse – excepté quelques scènes de nu franchement gratuites. Chambers incarne le patient zéro d’une épidémie de rage déclenchée par une expérimentation chirurgicale suite à un accident de moto. Disponible sur Arte, le film a une résonance diablement forte pour un·e spectateur·trice de l’ère Covid-19, avec son atmosphère apocalyptique de couvre-feu sanitaire, et même une histoire de pass vaccinal.
Sasha Grey dans The Girlfriend Experience de Steven Soderbergh (2009)
Un film insaisissable, parcourant par fragments non chronologiques la vie de Chelsea, escort proposant à ses clients un service de prostitution rehaussé de fausse intimité conjugale. De ce journal filmé, se dégage un sentiment inexplicable de prise parfaite sur le monde de 2009 – celui de la crise financière, dont les clients de Chelsea ne cessent de dispenser leurs interprétations ineptes, et celui de l’avènement d’un nouveau degré de solitude entremêlée de culte de corps. Plus fascinante pornstar de son temps, avec sa nonchalance souveraine et son regard de chat dédaigneux, Sasha Grey survole ce triste ballet contemporain qu’elle complétera de quelques autres rôles mainstream (Entourage) avant de butiner aux quatre coins de l’entertainment : une petite carrière de DJ, une autre d’écrivaine, etc. Aux dernières nouvelles, elle streamait du Halo et du Red Dead Redemption 2 sur Twitch.
François Sagat dans Homme au bain de Christophe Honoré (2009)
Concrétion de muscles saillants reconnaissable entre mille, François Sagat trouve chez Christophe Honoré son premier grand rôle non pornographique : celui d’un homme quitté qui noie son chagrin dans un défilement de baises passagères et de confidences amicales. Honoré scanne bien sûr l’icône, profite de ses reliefs sculpturaux, mais l’emmène aussi, et y compris dans les scènes de sexe, là où le porno ne l’avait pas emmené : dans des situations plus ambivalentes, plus intimistes, où se révèlent d’autres talents de Sagat (la danse, le dessin) ainsi qu’une vulnérabilité indéniable.
Brigitte Lahaie dans beaucoup de choses
Icône la plus célèbre de “l’âge d’or” du porno français des années 1970 et 1980, marquée par des films emblématiques comme Les Petites Écolières ou Je suis à prendre, Brigitte Lahaie a réussi une reconversion paradoxale dans le cinéma mainstream : elle s’y est sédentarisée plus que tout autre pornstar, avec une quarantaine de rôles non pornographiques entre 1978 et 2013 ; et en même temps elle n’a jamais vraiment décroché la timbale du chef-d’œuvre, ni un rôle unanimement incontournable. Il n’y a certes pas de quoi rougir d’une carrière où se croisent Jess Franco, Alain Delon, Henri Verneuil, Jean-Jacques Beineix ou encore Max Pécas. Mais Lahaie n’est pas associée à une réussite culte – si ce n’est celle, plus générale, d’être parvenue à sortir mieux que personne du “ghetto du X”, jusqu’à une carrière très remarquée d’animatrice radio, avec vingt ans de quotidienne à RMC puis Sud Radio. Elle reviendra au X de manière détournée et politique en 2020, dans un film sur la sexualité senior, Une dernière fois d’Olympe de G.
Ovidie dans Le Pornographe de Bertrand Bonello (2001)
Démarrant sa carrière pornographique en 1999, Ovidie atteint très vite un statut particulier lié à ses études de philosophie, son féminisme pro-sexe, son engagement pour une moralisation de l’industrie et ses ouvrages (Porno Manifesto en 2002 chez Flammarion). “L’intello du X”, telle qu’on la surnomme quand elle est invitée chez Ardisson, se retrouve – un peu avant d’acquérir ce statut – dans le second et sublime film de Bertrand Bonello. Le Pornographe décrit une relation père-fils dans le milieu de la pornographie, et connaîtra un parcours tumultueux : présentation et récompense à la Semaine de la critique à Cannes (dont elle racontera plus tard un souvenir très amer), procès (gagné) contre la tristement célèbre association Promouvoir qui tente de le faire interdire… Avec le passage au mainstream, Ovidie n’arrêtera pas pour autant sa carrière pornographique, mais en prendra de plus en plus les rênes en tant que réalisatrice. Elle signera aussi plusieurs documentaires (Là où les putains n’existent pas).
Rocco Siffredi chez Catherine Breillat
C’est l’acteur porno le plus célèbre chez les gens qui ne connaissent pas le porno – un quasi nom commun, entré dans l’imaginaire populaire comme un synonyme grivois de l’organe plus-size. Catherine Breillat l’engage à deux reprises, d’abord dans un rôle attendu (un amant débordant de désir comblant les frustrations de l’héroïne de Romance, 1999), et ensuite dans un semi contre-emploi qui n’est pas sans évoquer une forme de castration : Anatomie de l’enfer (2004). Une femme qui veut mourir (Amira Casar) paie un homme homosexuel pour la regarder “par là où elle n’est pas regardable”. Plusieurs soirs durant, elle se dénude devant lui, parle, noue des jeux pervers dont certains ont choqué (notamment une fameuse scène d’infusion au tampon). Siffredi fulmine dans le rôle du regardeur. Le film n’est pas celui qui a le mieux vieilli de Breillat, ses épanchements lassent un peu ; mais Rocco est sublime, minéral, statuaire.
Traci Lords dans Cry-Baby de John Waters (1990)
Pornstar parmi les mieux payées de son temps, propulsée superstar en quelques mois, elle déclenche aussi le plus grand scandale de l’industrie pornographique américaine des années 1980, lorsque le FBI découvre en 1987 que la quasi-totalité de ses films a été tournée alors qu’elle était encore mineure. L’actrice, qui est alors déjà millionnaire, fait une croix sur sa carrière et traverse quelques déboires judiciaires (dont elle sortira indemne, contrairement aux producteurs des films incriminés), mais parviendra vite à rebondir. Elle rejoint deux ans plus tard la bande de John Waters pour son film le plus célèbre : le teen movie fifties Cry-Baby, où elle incarne Wanda, poupée bougonne et rebelle, amie du blouson noir au cœur tendre incarné par Johnny Depp. Un personnage irrésistible qui lui sécurisera une reconversion réussie à la télévision (Melrose Place, Profiler…).
Karen Lancaume et Raffaëla Anderson dans Baise-moi de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi (2000)
Karen Lancaume et Raffaëla Anderson ont un début de carrière tout droit sorti d’un livre de Despentes. La première, plutôt bien née, a été poussée dans le X par un mari endetté pour résoudre leurs problèmes financiers. Il s’est finalement avéré incapable des performances nécessaires ; elle a continué, mais sans lui, puis en a divorcé, parce qu’un “homme qui t’aime ne peut pas te laisser faire ça”. La seconde, issue d’un environnement familial violent, perd sa virginité sur un plateau avec un hardeur. Elle travaille quelques années, atteint une petite notoriété. Une nuit, sortie acheter des cigarettes, elle est reconnue par deux hommes, qui la violent. Le procureur la dépeindra comme le “produit d’une mauvaise éducation” et affirmera que vu son métier, “on ne doit pas se plaindre”.
Dégoûtée du sexe, elle abandonne le porno et devient lesbienne “par la force des choses”. Autant de bonnes raisons de les engager pour la déclaration de guerre au masculin qu’est Baise-moi, cavale sanguinaire assoiffée de sexe et de sang, Thelma et Louise de caniveau émaillé de partouzes et de tueries. La sortie sera mouvementée (évidemment) : le film est traîné dans la boue, classé X, sauvé par Mk2, non sans heurts. Karen Lancaume a avalé cinq ans plus tard une dose mortelle de médicaments dans un appartement du 14e arrondissement de Paris. Raffaëla Anderson est retournée à l’anonymat.
{"type":"Banniere-Basse"}